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L’avis d’un employeur – La vie d’un employeur : Épisode 7

7ème rencontre et interview de mon challenge. Si vous êtes nouveau ou nouvelle ici, je vous invite à lire l’article qui parle de ce challenge en cliquant ICI. Cette interview m’a inspiré pour écrire un article sur ce que l’on peu appeler naïvement du « piston ». En effet, là où certain pourrait y voir du « piston familial », on y voit finalement une personne qui s’est construite avec ce qu’elle avait comme outil et l’a transformé pour transmettre au mieux. Si ce sujet vous intéresse, je vous invite à en lire davantage en cliquant ici  » Le piston au travail : mythe ou réalité ? »

Dans un monde professionnel de plus en plus tourné vers la performance et le profit, certaines entreprises cherchent à ériger leur approche du travail en mettant l’humain et la passion au centre de leurs préoccupations. C’est le cas de Teddy Picard (T.P.), un entrepreneur qui, à travers diverses initiatives dans ses entreprises, essaie de créer un environnement où les salariés se sentent valorisés et impliqués.

Il a baigné dans ce secteur depuis tout petit et son expérience permet une réflexion plus large sur la notion de « piston familial » : Atout ou contrainte ? Les échanges incitent à se questionner aux apports ou limites que cela peut apporter dans l’accès au monde du travail.

Cet article est basé sur une interview de M. Picard, entrepreneur à plusieurs casquettes et et notamment gérant du restaurant Nehuli et du snack du pas de Bellecombe. Bien que M. Picard a de nombreux projets qu’il souhaite développer, il met l’accent sur la passion du métier, du service et de la valorisation des produits locaux.

Nehuli restaurant
Nehuli restaurant, situé au Tampon

M. Picard distingue trois catégories de travailleurs : ceux qui travaillent par obligation, ceux qui travaillent occasionnellement, parce que ça dépanne et ceux qui travaillent par passion. Il privilégie cette dernière catégorie, convaincu que la motivation et l’engagement sont essentiels pour la réussite de l’entreprise. Cette philosophie transparaît dans ses pratiques de gestion, notamment dans sa manière de recruter et de soutenir ses employés.

T.P. : « J’ai souvent reproché à mes parents cette mentalité de dire que s’ils le font pas eux mêmes, rien ne sera fait. Mes parents se limitaient à employer alors que moi je collabore. Je n’ai pas vraiment d’employés, j’ai des gens qui collaborent avec moi, c’est à dire que je les fais avancer en même temps que l’entreprise avance. Mon but, c’est que déjà en ayant été employé, c’est de se sentir bien dans une activité, quand on est heureux de ce qu’on fait, on est beaucoup plus épanoui. »

«  Je veux aller sur le CDI. Parce que les personnes ont aussi besoin d’avancer. Je pense qu’il y a un certain moment où on doit comprendre l’employé ».

Ayant grandi dans une entreprise familiale de gîteur de montagne, M. Picard a connu les défis uniques d’un environnement familial professionnel. Il a appris l’importance de la délégation et de l’adaptation des rôles au fil du temps, reconnaissant que ces compétences sont essentielles pour le développement personnel et professionnel. Son expérience souligne combien il peut être complexe de naviguer entre les attentes familiales et les aspirations professionnelles.

T.P . : «Je ne l’ai pas choisi, ça a été un peu imposé au début. Ma famille fait partie des guides de montagne. J’ai travaillé pendant plus de 25 ans au Gîte du Volcan avec mon père et mon oncle Jacques Picard qui est un ancien du volcan et je suis tombé dedans étant petit. J’ai grandi avec les zoreilles comme on dit. J’ai vu le métier, comment ça s’est développé et je n’avais pas vraiment d’affection. Vous savez, quand vos parents vous l’impose, ils vous mettent le pied à l’étrier. Mais il faut savoir qu’un enfant est peut être ingrat aussi. Il peut vous dire oui et puis ne pas aimer ce qu’il fait. Il m’a fallu beaucoup d’années. J’ai commencé en 96.

Il m’a fallu une bonne dizaine d’années avant de comprendre que c’était fait pour moi. C’était compliqué la gestion père fils, entreprise. C’est peut être pour ça que j’ai une certaine empathie envers les gens avec qui je travaille aujourd’hui. Je sais ce que ça fait que d’être dans une entreprise et de ne pas être considéré ».

Le piton de la fournaise
Le piton de la fournaise : volcan à La Réunion où l’on peut trouver le gîte et le snack

M. Picard ajoute avec fierté que, malgré les difficultés rencontrées et les divergences dans la manière d’entreprendre, c’est précisément sa relation avec ses parents et leur mode de fonctionnement qui ont fait de lui la personne qu’il est aujourd’hui. En effet, ces situations lui ont permis de forger les singularités et les qualités dont il est fier aujourd’hui

T.P : « Mes années de travail à leurs côtés ont été dur, mais on fait de mi ce que je suis aujourd’hui. Sans eux je ne serais rien »

On distingue bien ici une notion de résilience, portée par l’envie de partager et de réussir.

J’aimerai introduire ici la notion de piston, bien souvent entendu ou reproché. J’aborde cette question de façon plus approfondie dans cet article que je vous invite à lire avant de continuer.

On pourrait penser que M. Picard a eu de la chance, et a grandi avec un cuillère d’argent dans la bouche. Et pourtant, les échanges ont mis en avant qu’être « le fils de… » a rendu très difficile sont insertion professionnelle, voir même son choix de vie professionnelle. En effet, il n’était pas logé à la même enseigne que les autres, avec des conditions de travail beaucoup plus dégradées.

« J’ai été celui sur qui on peut plus ou moins compter, mais celui dont on ne va pas écouter les conseils. Puis avec le temps, je me suis adaptée. On m’a donné des postes. Donc bien sûr, poste à responsabilité, mais pas le salaire qui suit. J’ai commencé mon premier salaire, c’était 150 € par mois. J’avais un dimanche de libre par mois, je faisais 16 h par jour. Je commençais à 5 h et demie, je finissais à 11 h. J’étais responsable des toilettes. » alors que les autres avaient un salaire en correspondance avec leur poste et des horaires différents.

L’empathie joue un rôle central dans la gestion des employés chez M. Picard. Il comprend que le bien-être de ses employés est directement lié à leur productivité et à leur satisfaction au travail. Par exemple, il ne réduit pas les salaires lors de fermetures forcées par des conditions météorologiques et offre des conditions de travail flexibles pour accommoder les besoins personnels des employés.

T.P. : « Je ne suis pas à cheval sur les horaires. Je ne vais pas enlever une journée s’il pleut et que les routes sont fermées par exemple. Ça arrive et ce n’est pas de ma faute, ni de la faute de l’employé.

Par exemple, j’ai fermé 22 jours pendant le cyclone. Je n’ai rien enlevé sur la paie du salarié. Tout simplement parce que je me suis rendu compte que lui aussi avait ses besoins. On rattrapera, on fera après. Et puis si j’ai besoin de lui pour quelque chose, je sais qu’il sera là. Mais je peux reprocher l’inverse à certains employés que j’ai eu. Lorsqu’ils avaient moins travaillé, ils étaient d’accord. Mais dès qu’il fallait travailler plus en haute saison, ils demandaient des ajustements au niveau des horaires. Donc quand il fallait descendre à 2h30 au lieu de 3h, ce n’était pas un problème. Mais quand il fallait rester jusqu’à 17h30, il voulait être payé plus. Ce qui est important, c’est qu’il y ait une relation équitable, juste et que chaque partie se mette dans la compréhension de l’autre.

D’ailleurs je pense que ça doit être la base de tout le travail. Je pense qu’il y a souvent des incompréhensions entre employeurs et employés parce que l’un ne se met pas à la place de l’autre. »

M. Picard porte une importance cruciale à la communication, comprendre l’autre et être transparent est un impératif pour que les personnes se sentent bien leur travail.

T.P : « Il faut beaucoup d’échanges avec les employés. Ça m’arrive de bloquer sur une idée et je prends conseil avec eux. Ça m’arrive de livrer des produits qui ne marchent pas très bien parce qu’il y a une erreur ou quoi que ce soit. Là, on échange aussi. Je passe en moyenne entre 5 à 10 minutes tous les jours avec chaque employé à son poste de travail pour lui demander comment ça s’est passé. Qu’est ce qui manque ? Est ce que vous avez tout récupéré ? Qu’est ce que je peux faire pour améliorer votre lieu de travail ? »

« Je ne cacherai pas que je me dis qu’il leur faut un toit au Pas de Bellecombe, qui a été arraché pendant le cyclone. Ils flottent à l’intérieur. Pourtant, ils sont là. Ils bossent. Je leur ai dit que ce n’est pas moi, c’est le département. Je ne peux pas monter là haut faire des travaux, je suis pas chez moi. Ils savent que ça prend du temps parce que je leur fais suivre les mails. Je leur dis « Les gars, regardez, aujourd’hui, j’ai envoyé ça. J’attends le retour du département parce que c’est pas moi, c’est eux qui s’en occupent ». Quand ils sont au courant de ce qui se passe, ils savent que je ne fais pas que faire mon travail de mon côté, ne rien leur dire. Tant qu’il n’y a pas d’échanges dans une société, ça peut être très compliqué ».

M. Picard participe également à des événements innovants. Il a notamment participé à des recrutements sans CV pour évaluer les appétences des candidats au-delà des qualifications traditionnelles. Cette approche permet d’identifier des talents qui sont souvent négligés dans les processus de recrutement plus conventionnels.

T.P. : « Si on n’est pas bien, si on se lève en n’ayant pas envie d’y aller, en ayant une espèce de frustration, en se sentant pas bien dans sa peau, ça ne sert à rien. Il faut arrêter »

L’expérience du recrutement sans CV a été particulièrement porteuse et intéressante pour moi. Il est très difficile de former quelqu’un qui a déjà été formé par quelqu’un d’autre. Vous prenez quelqu’un qui est habitué à faire un sport de combat bien déterminé. Et du jour au lendemain, vous le mettez dans un autre style de combat. Systématiquement, il y aura des restes de l’ancienne activité qui vont revenir. C’est ce qui se passe en cuisine. Vous avez quelqu’un qui a été formé, par exemple dans un style d’hôtellerie ou dans un style de grande restauration. Il va arriver en laboratoire, on va lui expliquer les recettes d’antan, on va expliquer que certains produits ne changent pas et bah il aura systématiquement et j’en ai fait l’expérience avec trois cuisiniers que j’ai eu dans mon restaurant au début. Je vais rajouter ça. Et ça, c’est quelque chose qui est délicat.

Il faut que ce soit régulier et stable. Si tu veux être créatif, retourne dans un endroit où il y a la création, où on te laisse faire. Mais là, ici, on doit être. Il faut respecter les règles parce que c’est un laboratoire. »

La formation continue est une priorité pour M. Picard. Il investit en temps et en argent dans le développement de ses employés, leur permettant d’évoluer au sein de l’entreprise et de prendre en charge des responsabilités accrues. Cette approche non seulement retient les talents mais encourage également un sentiment d’appartenance et de loyauté envers l’entreprise. En effet, M. Picard considère ses employés comme des collaborateurs et les intègrent totalement dans le fonctionnement des entreprises.

T.P. : « Les employés ne comprennent pas forcément la part employeur mais peut être aussi parce qu’on ne leur explique pas. Moi, j’explique tout. Les plus gros chiffres qu’on va faire dans l’année seront divisés par trois. Une partie pour les dépenses, une partie pour le patronat et l’Etat et une partie pour la société en elle même. Si un employé n’a pas compris ça, i aura toujours un œil faux sur la société, sur l’établissement, sur l’entreprise.

Pour beaucoup d’employés avec qui j’ai travaillé, qui étaient des employés et non pas des collaborateurs. Pour eux tout entraient dans ma poche et on ne peut pas leur en vouloir parce que on ne leur apprend pas.

Je vois et j’anticipe l’évolution des collaborateurs. Je sais que deux de mes collaborateurs et collaboratrices deviendront responsable de laboratoire. Ils auront deux jours de travail au volcan et comme c’est une holding, je peux répartir les employés selon leur envie de travailler. »

Comme a chaque interview, je propose de tirer une carte « permaculture au travail » L’idée est de pouvoir travailler par biomimétisme. Observer les lois du vivant pour calquer ces lois dans le monde de l’entreprise et du travail. Parce ça fait des milliards d’années que la nature existe, elle était là avant nous, elle sera là après nous. C’est quelque chose qui est durable, c’est à dire que peu importe ce qui arrive, elle s’adapte.

T.P : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Les entreprises en Amérique et dans plein d’endroits, par exemple en Islande, même en Finlande, ont décidé que le bureau n’était plus nécessaire. Et j’utilise la même technique avec mes enfants.

C’est à dire que tu travailles où tu veux, mais tu travailles. Psychologiquement, pour mon petit cas qui a six ans et qui est Asperger. Dès qu’on lui parle du mot travail, dès qu’on lui parle du mot école, ça bloque. Et avec mes employés, je leur dis de prendre du temps pour eux. Quand ça se calme. Quand il faut bosser, faut bosser. Mais quand on prend du temps pour nous, c’est à dire c’est ce que je fais souvent aussi, c’est qu’après la production ou sinon pendant la production, dans la phase de refroidissement des plats, on va au restaurant, on mange ensemble, on passe un moment ensemble, on parle pas forcément de travail. On apprend à se connaître. On garde bien entendu cette distance.Il faut garder cette distance patron – employée/collaborateur.

L’approche de M. Picard en matière de gestion d’entreprise est un modèle est de chercher à optimiser son efficacité tout en plaçant l’humain et l’amour de la cuisine au centre de sa stratégie. Ses méthodes montrent que le respect, l’écoute et le soutien des employés sont compatibles avec le succès commercial.

Ce récit de M. Picard offre des leçons précieuses pour tout leader aspirant à créer un environnement de travail plus humain et plus productif, tout en étant compatible avec les besoins du monde. L’interview a également permis de mettre en avant que la famille peut être une forte pression familiale, qui nous font prendre des chemins non voulu au départ et surtout de travailler dans des conditions plus difficiles. Néanmoins, M. Picard a pris le partie d’en faire un atout et a finit par comprendre qu’elle était sa vocation.

Son récit met avant son choix de ne pas subir la situation et de s’adapter à ce qui se présentait à lui, pour trouver l’alignement à ses valeurs et ses zones d’enthousiasmes. Une fois que cela a été clair pour lui, il a gardé le cap et a continué d’avancer, toujours en trouvant des solutions plutôt que de s’attarder sur les problèmes.

Alors, le « piston familial » : atout ou contrainte ? Qu’en pensez-vous ? J’attends vos commentaires

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Cet article a 2 commentaires

  1. Alex

    La partie formation est effectivement un point essentiel, y compris dans les cas de « piston » et je pense qu’on a tendance à vite l’oublier. Merci pour cet article complet.

  2. Anick

    J’aime bien la bienveillance de M.Picard , et considérer qu’on embauche un collaborateur et non pas un employé… de bonnes valeurs auxquelles on ne pense pas forcément

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