Dans le cadre de mon challenge, je vous présente la 3ème entreprise rencontrée. L’entreprise est un organisme de formation dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, qui m’est cher, comme expliqué dans mon article « Mon défi : challenger mes croyances »
Présentation et parcours
J’ai rencontré Julien Lhuissier, directeur de l’organisme CREE formation. Il est né et a grandi à la Réunion, « zoréoles comme on dit à la Réunion » explique-t-il. Mr Lhuissier a embrassé très jeune des expériences formatrices. Il quitte La Réunion à l’âge de 14 ans pour intégrer un parcours sport études tennis à Nice.
À 16 ans il rejoint un lycée aux États-Unis pendant un an, des années qui ont profondément sculpté sa personnalité et son engagement (en bonus, à la fin de l’article, Mr Lhuissier nous parle des différences qu’il a vécu entre le système éducatif français et américain).
Avec une curiosité insatiable, il passe son baccalauréat à La Réunion et explore des voies divergentes, de la philosophie à des études de droit et de relations internationales, toujours guidé par un désir d’humaniser ses approches. «Je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je savais ce que je ne voulais pas faire ». Il fait le lien entre son parcours scolaire et le monde du travail « vivre seul à l’âge de quatorze ans, devoir se faire à manger, se gérer en autonomie dans un contexte de sport de haut niveau, avec une exigence très importante, forcément, ça forge et c’est assez comparable finalement au monde de l’entreprise ».
Mr Lhuissier s’est lancé dans des études de relations internationales : « Mes idées quand j’étais jeune étaient plus de devenir diplomate ou travailler dans les relations internationales à l’étranger, dans des consulats.. Je voulais aussi être journaliste. J’avais pas mal d’idées comme ça qui finalement n’ont pas abouti mais que je retrouve pour certaines parties dans mon poste ». Son parcours l’a mené de la Fédération internationale des droits de l’homme, à la mairie de Paris, ville dans laquelle il a toujours voulu vivre un temps. Il a plongé dans l’univers de l’économie sociale et solidaire, découvrant la complexité des interactions entre le public et le privé, et la nécessité d’un équilibre entre les valeurs sociales, écologiques, et économiques.
Finalement, son engagement pour l’insertion et la formation l’a conduit à rentrer à La Réunion au moment où ses parents ouvrent la franchise Vatel une école hôtelière internationale à partir de l’expérience de CREE qui est ouvert depuis 1991.
Il bascule au bout d’un an au CFA CREE, où il s’efforce d’intégrer pleinement l’humain au cœur du développement entrepreneurial, illustrant parfaitement la mission de mon blog : « J’ai toujours eu cette vocation sociale, en tout cas ce sens d’avoir envie d’aider les autres. J’ai vite compri que les publics de CREE me correspondent beaucoup plus parce qu’on est sur des publics infra bac, décrocheurs scolaires, des adultes en réorientation professionnelle. Le travail est beaucoup plus global ».
L’interview en 6 points
Je vous propose de résumer cette première partie d’interview en 6 points clés :
- L’importance de la diplomatie dans la gestion d’entreprise: Mr Lhuissier souligne l’importance des qualités diplomatiques pour un chef d’entreprise ou un manager, reflétant sa capacité à naviguer dans des situations complexes et à gérer des relations interpersonnelles nuancées, essentielles pour mettre l’humain au centre du développement d’entreprise.
« Pour moi, un chef d’entreprise, un manager doit être un très bon diplomate. Donc finalement, même si je ne travaille pas dans les consulats à l’étranger, ce sont des compétences qui me servent et je dois faire usage de ces qualités de diplomatie au quotidien, c’est évident. » - Valeur du travail et de l’importance de l’expérience : Ayant commencé à travailler dès l’âge de quinze ans, Mr Lhuissier valorise l’expérience de terrain et l’apprentissage par la pratique. Il est sceptique de l’approche trop théorique de l’éducation française et encourage une préparation plus réaliste au monde du travail. (voir BONUS)
« J’ai souvent tendance à dire qu’elles (les expériences en restauration) m’ont beaucoup plus apprises que ma fac de droit pour ce que je fais aujourd’hui« - L’intégration des valeurs et de la mission d’entreprise dans son fonctionnement au quotidien : L’importance accordée par Mr Lhuissier à l’alignement des valeurs personnelles avec la mission de l’entreprise souligne la nécessité pour les employeurs de définir clairement et de communiquer leurs valeurs fondamentales. Cela peut renforcer l’engagement des salariés et leur sentiment d’appartenance.
« Dans un premier temps, ça a été déjà de créer ce socle : créer, réfléchir avec mes collaborateurs à la mission de l’entreprise, aux valeurs, au sens, au « why » » - RSE et QVCT en tant que leviers de changement : Enfin, Mr Lhuissier aborde l’importance de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de la qualité de vie et conditions de travail (QVCT) pour attirer et retenir les talents, en particulier dans des secteurs comme l’hôtellerie. Il souligne que des pratiques éthiques et un environnement de travail sain sont cruciaux pour réussir et se développer durablement.
Si vous n’avez pas encore lu mon article sur la RSE, c’est le moment de le faire en cliquant sur ce lien : « RSE et bien être au travail : clés pour des résolutions réussies ».
« Ça fait 20 ans qu’on réfléchit, qu’on encourage les employeurs du secteur à remettre en question leurs pratiques, à pouvoir allier leurs exigences et des impératifs économiques« - Une approche holistique de la formation et du travail : L’expérience de Mr Lhuissier à CREE et Vatel illustre une vision complète de la formation, mélangeant compétences opérationnelles et managériales. Il souligne l’importance des « soft skills », de l’humilité et de l’exemplarité pour les managers. Il met également en avant l’importance d’intégrer des stages, des formations en situation de travail, que sa famille a développé dès le début de leur aventure, et que l’on peut retrouver maintenant via le dispositif de l’AFEST), et d’autres méthodes d’apprentissage expérientiel pour préparer efficacement les jeunes au monde du travail.
« En France, on est encore très attaché au métier. Et pour moi, on devrait plus réfléchir au métier parce qu’il y en a tous les jours qui disparaissent, il y en a tous les jours qui apparaissent. Ça n’a plus de sens de former des jeunes à un métier.
Pour moi, il faut qu’on forme des jeunes à des compétences, des compétences transversales«
« je ne crois plus au projet de carrière. On voit bien les nouvelles générations, elles n’ont pas d’ambition, vraiment de carrière, elles se voient pas toute leur vie sur le même métier. Et j’ai envie de dire c’est tant mieux parce que de toute façon, les métiers aujourd’hui disparaissent et apparaissent. Il faut savoir s’adapter en permanence« . - L’attractivité du secteur de l’hôtellerie-restauration : Mr Lhuissier nous fait part de sa vision du secteur et du travail, qui va au-delà des activités simples que l’on peut se représenter, ou de l’image que l’on peut avoir
« Les gens désertent le métier de service en salle parce qu’ils ne voient que le métier dégradant, avilissant de servir l’autre, d’être un peu le larbin de l’autre. Déjà, même le nom, on n’aurait pas dû donner ce nom-là. Serveur, ça fait un peu servile. serviteur, servante. Rien que le nom ne donne pas envie.
Pourtant, quand on prend ce métier là en termes de compétence, on fait de l’accueil client, on fait de la commercialisation, de la vente. Il faut vendre des cafés, des desserts, des plats du jour , avoir une très bonne présentation. Il faut pouvoir faire du conseil client sur les accords mets et vins, même touristique, quand il y a des touristes qui sont là, dans le restaurant, dans l’hôtel et renseigner sur ce qu’il y a de sympa à faire aux alentours«
Vous trouverez ci-dessous l’intégralité des échanges, avec un bonus à la fin et la deuxième partie de l’interview dans un prochain article.
Je vous invite à commenter vos impressions à la fin de l’article.
Vous pouvez cliquer directement sur le sommaire et aller à la partie de l’interview qui vous intéresse.
L’importance de la diplomatie dans la gestion d’entreprise
Comment les compétences acquises au cours de votre parcours vous aident dans votre quotidien ?
Mr Lhuissier : « Pour moi, un chef d’entreprise, un manager doit être un très bon diplomate. Donc finalement, même si je ne travaille pas dans les consulats à l’étranger, ce sont des compétences qui me servent et je dois faire usage de ces qualités de diplomatie au quotidien, c’est évident.
Autre expérience structurante, après le master en relations internationales, j’ai eu la chance de décrocher un stage à la Fédération internationale des droits de L’homme puisque encore une fois, ma seule ligne directrice de mon parcours, c’était de faire des choses qui ont du sens. Il y avait déjà dans notre génération cette volonté d’avoir du sens dans nos activités. Je n’ai jamais cherché des activités uniquement lucratives, mais toujours avec du sens, surtout quand j’étais jeune ».
Valeur du travail et de l’importance de l’expérience
Mr Lhuissier : « Mes parents ne m’ont jamais fait manquer de rien tout en m’apprenant la valeur du travail très rapidement puisque j’ai commencé à travailler à quinze ans lorsque mes parents tenaient déjà le centre CREE. Je connaissais déjà bien le secteur de la restauration. J’y ai travaillé toutes mes études, mais uniquement de façon alimentaire.
Il y avait les études et il y avait le travail en restauration pour gagner des sous et me faire de l’expérience. Si je voulais des sous en plus, c’est simple, il fallait que je bosse, ce qui a été une très bonne éducation au monde du travail et mes expériences en restauration d’ailleurs tout le long de mes études ont été un apport.
J’ai souvent tendance à dire qu’elles m’ont beaucoup plus apprises que ma fac de droit pour ce que je fais aujourd’hui. Même si le droit a été très intéressant, mais trop théorique à mon goût, pas assez ancré dans la réalité du monde du travail et des entreprises ».
Les valeurs fondamentales
Mr Lhuissier : « Mes parents faisaient déjà de la formation, et moi cela restait dans un coin de ma tête, éventuellement parce que je voyais qu’il y avait déjà une mission, un sens, et qu’ils ne faisaient pas ça que pour l’argent. Au contraire, ils faisaient ça avant tout pour aider les Réunionnais, les Réunionnaises à se former, à trouver leur vocation et leur voie dans le monde du travail.
De plus, ce qui est bien, c’est qu’on a vraiment ces deux points de vue. A CREE on forme des opérationnels et sur Vatel on forme des managers, des directeurs. On va vraiment avoir les deux catégories qui sont soit disant irréconciliables. Alors que pour moi c’est un faux débat justement, et c’est quelque chose qu’on a institué dans la tête des gens, mais qui est complètement à côté de la plaque. Pour moi, on est tous dans le même panier, employeurs et salariés« .
Recruter autrement
L’importance du diplôme
Est-ce qu’un diplôme va servir comme critère de recrutement ?
Mr Lhuissier : « Un diplôme ne va pas donner la valeur d’un candidat, ça peut y participer mais ça ne le fait pas.
Entre VATEL et CREE il y a des passerelles, des publics différents, et on forme. On est voué justement à avoir cette mission de former à la fois les futurs opérationnels de l’hôtellerie restauration, tourisme et à la fois les futurs managers directeurs.
Il va falloir que des deux côtés, on prodigue des qualités de formation qui permettent à ces personnes-là de s’entendre. Et c’est un peu ce qu’on fait sur CREE. On met l’accent vraiment sur les « soft skills », la posture. Voilà comment bien montrer qu’on est un salarié investi, compétent, etc ».
Les qualités humaines
Mr Lhuissier : « Du côté Vatel, attention, ce n’est pas parce qu’on est des managers ou des directeurs qu’on reste toute la journée dans son bureau à ne rien faire. Le manager, c’est l’exemplarité, c’est l’humilité. Ce sont des valeurs qui sont très importantes pour nous. Même à Vatel, école hôtelière privée payante au départ, maintenant on a aussi ouvert en alternance.
La première année, vous passez par les quatre postes opérationnels de l’hôtellerie service en salle, cuisine, étage et réception et vous faites les tâches de base, c’est à dire que vous récurez les toilettes en tant qu’employé d’étage alors que vous payez 7 000 € votre année d’école.
Pour nous, un bon manager, n’a de légitimité que s’il est lui-même passé par ces postes opérationnels. Ça fait toute la différence.
Quand vous payez 8 000 € votre école mais que vous nettoyez des toilettes, ça vous apprend la vie, le monde du travail. Et en tant que manager ou directeur, vous pourrez dire que vous l’avez fait et vous serez légitime pour manager une équipe parce que vous serez passé par ces étapes intermédiaires et vous pourrez mieux les comprendre, mieux prendre en compte leurs demandes, leurs aspirations et les traiter de manière égale.
Pour nous, un manager, c’est juste une question d’organisation, de hiérarchie. Il n’y a pas de sous métier ou de postes. Tout le monde est important dans une société, de l’agent d’entretien jusqu’au directeur ».
RSE et QVCT en tant que leviers de changement
Comment intégrez-vous la prise en compte des conditions de travail, de la qualité de vie, du bien être en interne ?
Transition de posture salarié-responsable
Mr Lhuissier : « C’est intéressant parce que j’ai eu cette transition dans la posture « salarié-responsable ».
Pour reprendre l’historique, ce n’est pas parce que c’était une entreprise familiale que j’ai été directeur tout de suite. Je suis passée par toutes les cases, c’est à dire j’ai d’abord commencé conseiller en apprentissage, ensuite responsable apprentissage, puis directeur adjoint et aujourd’hui directeur.
Ça fait finalement qu’un an que j’ai repris vraiment la direction, J’ai connu les deux côtés. Le côté salarié avec mes parents à la direction, où vraiment j’étais toujours dans la critique, dans « on devrait mieux faire cela », « on devrait mieux faire ceci », « on devrait faire comme si, avec… ».
Pleins de bonnes intentions. Comme tous les jeunes de mon âge, je voulais un peu révolutionner l’entreprise. »
« C’est vrai qu’en étant salarié, on se met rarement à la place des employeurs ou des chefs d’entreprise ou des managers. Et pourtant…Quelle découverte !
J’ai compris beaucoup de choses en prenant leur place. Du coup, avec cette transition qui s’est opérée l’année dernière, je me suis rendu compte que c’était énormément de responsabilités, énormément de charges mentales, beaucoup plus qu’en étant salarié. Et ça, les salariés ne le voient pas ou ne le prennent pas en compte.
C’est vrai que parfois un manager, un directeur peut oublier certaines choses, peut avoir peut être des rapports un peu directs avec certaines personnes, mais en même temps, il a parfois des centaines de personnes avec des centaines de tâches au quotidien à gérer et une machine économique et humaine à faire tourner. Dans quel cas, s’il oublie quoi que ce soit, c’est toute la boîte qui risque sa vie et du coup le contrat des gens aussi qui est mis en danger.
Il y a des enjeux qui sont beaucoup plus forts à ces postes à responsabilité qu’aux postes opérationnels, et ça, les gens l’oublient. C’est ce qui justifie d’ailleurs les différences aussi de salaire.
J’ai donc vu ce changement et j’ai mieux compris. Moi qui été très critique, j’ai vu que c’était plus facile à dire qu’à faire. Parce que c’est bien beau de dire « il faut mettre des valeurs », « faut faire de la QVT, du RSE ».
Ce que j’ai découvert c’est que, même avec la meilleure volonté du monde que j’avais, mes collaborateurs eux-mêmes n’étaient parfois pas préparés, ou pas habitués, ou un peu décontenancés. Et, ça demande un changement d’approche pour les nouveaux fonctionnement que je voulais mettre en place. »
Le management spirituel
A un moment donné, j’ai même fait une conférence sur le management spirituel avec Delphine Drouin. J’ai voulu en parler, on m’a dit de ne surtout pas parler de management spirituel. « Tu vas les perdre, ils vont se dire mais c’est quoi ce truc ? »
Et, je l’ai expérimenté, j’ai voulu mettre en place certaines choses et certains étaient un peu décontenancés, par exemple sur les horaires de travail, de laisser un peu plus de souplesse à certains ou de pouvoir permettre le télétravail.
Certains n’ont pas voulu parce que chez eux ils n’arrivent pas à travailler, ils ont leurs enfants. Et pour certains, le travail, c’est dans le cadre de l’entreprise, ça doit pas être fait chez soi.
Alors que nous, les nouvelles générations ou les jeunes, vont avoir une opinion totalement différente.
Donc au sein même de l’entreprise, ce n’est pas suffisant de dire « je vais mettre du RSE, je vais mettre de la QVT ».
Démarche en interne
« Il faut déjà bien préparer le terrain, bien cerner les individualités qui composent l’entreprise et le proposer, ne jamais l’imposer parce qu’il y a ce que je veux, et ce que les autres veulent.
Si on va trop vite, trop loin aussi, on peut perdre aussi certaines générations qui elles, sont encore attachées à la valeur travail plus classique, et on ne peut pas le critiquer non plus. Et peut-être que même chez les jeunes, je pense qu’il y a encore un peu des deux. Il ne faut pas faire de généralité. »
L’intégration des valeurs et de la mission d’entreprise dans son fonctionnement au quotidien
Réflexion sur la mission d’entreprise
Mr Lhuissier : « Dans un premier temps, ça a été déjà de créer ce socle : créer, réfléchir avec mes collaborateurs à la mission de l’entreprise, aux valeurs, au sens, au « why », (je vous invite à regarder ce super TED de Simon Sinek qui explique « le why » en cliquant ICI ).
Donner une vision, donner de la visibilité, définir une stratégie. Parce que jusque-là c’était géré un peu au quotidien, mais il n’y avait pas de vrai cap stratégique qui était donné avec le même objectif.
Il n’y avait même pas de fonctionnement par objectif, ce que l’on est entrain d’implémenter. C’est quelque chose qui est assez commun dans le monde de l’entreprise commerciale.
Mais il ne faut pas oublier que nous, on est un centre de formation. On est un peu à la croisée des chemins entre une école et une entreprise privée commerciale. Donc même dans les pratiques, tous les centres de formation jusque-là fonctionnaient plutôt comme des écoles plutôt que comme des entreprises commerciales.
Je suis en train d’instituer ça en fonctionnant par des objectifs SMART, donc des objectifs d’entreprise, des objectifs d’équipe et des objectifs individuels.
On a commandé aussi un audit RH de trois mois dont on sort. Ça a permis de remettre à plat toutes les bases, de faire un état des lieux.
Finalement, on se rend compte qu’on est plutôt bien situé parce qu’on a très peu de turnover et très peu d’arrêt maladie ».
Mesurer les effets d’une action
Mr Lhuissier : « Nous avons des indicateurs RH qui sont plutôt bons que l’on ne mesurait même pas auparavant parce qu’on a aussi la transition de la petite entreprise à la PME.
Depuis 5 ou 6 ans, on est passé de quatre salariés à 20.
Double transition, double changement, ça fait beaucoup aussi pour les anciens collaborateurs qui sont là depuis 20 ans. Il a fallu composer avec les anciens et la nouvelle équipe.
La première étape vraiment formelle a été l’audit et maintenant on a un plan d’action. Ça a permis le recrutement d’une RH. Ça, c’est important de le mettre, parce qu’il y a des entreprises qui ne l’ont pas encore compris. »
Diagnostic/Audit : RH internes ou consultants externes
En quoi est-ce important d’avoir une RH ?
Mr Lhuissier : « J’ai toujours su que c’était important. Mes parents au début un peu moins, parce que c’est vrai que quand on a une certaine taille, toutes les missions RH ou le social, notamment les paies, etc., c’est encore assumé soit par les assistants ou assistantes de direction, soit par les employeurs eux-mêmes.
A partir d’une dizaine de salariés, pour moi c’est impératif d’avoir une personne au RH parce que c’est justement elle ou lui qui va faire le lien entre les salariés et les employeurs ou les managers.
C’est pour cela que les entreprises qui n’ont pas de structuration RH vont à mon avis avoir beaucoup plus de problèmes d’entente, de conflits, etc., que les entreprises qui ont un service RH bien structuré.
Il y a tellement de process RH à mettre en place que souvent on a tendance à se concentrer que sur l’activité pure. Mais on oublie aussi le plus important, c’est à dire comment faire en sorte de créer une ambiance collective et une aventure collective qui fasse que tout le monde ait envie de se tirer vers le haut dans le même sens.
Il faut au minimum une personne spécifique dédiée à cela ou alors externaliser. Au début, on a fait appel à une consultante, ce qui a été plutôt bien parce que c’est quelqu’un de neutre même aux yeux des salariés. C’est comme cela que je vois une personne au RH. C’est quelqu’un qui doit à la fois défendre les intérêts des salariés et à la fois des fois des intérêts des employeurs ou de l’entreprise.
Ok, il faut des avantages, ok, il faut des améliorations des conditions de travail, mais il ne faut pas oublier qu’il faut déjà pouvoir créer ce travail et que pour créer ce travail, il faut quand même de la rentabilité économique, ça ne se fait pas par magie.
L’idée ce n’est pas faire de la QVT alors qu’on n’avait même pas encore structuré au niveau RH ».
C’est notamment ce que j’ai mis en avant dans mon article » RSE ET BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL : CLÉS POUR DES RÉSOLUTIONS RÉUSSIES« . La première des étapes est le diagnostic de la structure, ce que vous appelez audit, pour avoir une vision globale et permettre une analyse fine.
Les pistes d’actions
Mr Lhuissier : « On travaillait déjà sur les conditions de travail déjà mais de façon informelle. Par exemple, on a accordé depuis toujours des aménagements d’horaires pour pallier aux embouteillages, pour les personnes qui viennent du sud alors qu’on est ouvert au public de 8 h 30 à 16 h 30.
Ça ne correspond pas forcément aux besoins de l’entreprise, mais on permet cette souplesse-là. Le télétravail aussi de plus en plus.
Et puis je vous ai dit, là, surtout, le fonctionnement par objectifs, la structuration RH qui va mettre en place aussi de la rémunération variable, ça ce n’est pas encore le cas, mais c’est plein de projets que j’ai pour encourager les salariés à plus s’investir, il faut aussi leur donner envie de s’investir. »
Est-ce que ça ne passe forcément que par le salaire ?
Mr Lhuissier : « Non, mais le salaire reste quand même l’enjeu principal je pense.
De plus, on va travailler ou plus on va produire d’investissement dans sa boîte, plus on va être récompensé aussi par une carotte qui peut être le salaire, mais pas seulement.
Cette année, on a offert par exemple une carte cadeau qui leur permet d’avoir des promotions toute l’année dans plein de magasins et d’hôtels et de restaurants à la Réunion. C’est un avantage en nature qui je pense plait et qui peut motiver.
Aujourd’hui il faut des systèmes de carotte, notamment pour ces nouvelles générations. S’il n’y a pas de carotte, ça va être compliqué pour le salarié d’avoir envie de dépasser sa zone de confort et de vouloir en faire plus ».
Mr Lhuissier : « Les nouvelles générations qui sont de toute façon très demandeuses d’une démarche RSE. Nous voulons former à diriger, à manager, et autrement que ce qui a été fait pendant les années 80-90, voire même 2000, avec ce management très directif, très hiérarchique, très pyramidal.
Aujourd’hui on sait que ça ne fonctionne plus et le secteur de l’hôtellerie est un super terrain d’expérimentation. Ça a été un des premiers secteurs impactés par les problèmes de recrutement, comme tous les métiers manuels l’agriculture, le BTP.
Nous sommes presque mieux préparés que les autres domaines parce que ça fait 20 ans qu’on vit ces problèmes de recrutement. Ça fait 20 ans qu’on réfléchit, qu’on encourage les employeurs du secteur à remettre en question leurs pratiques, à pouvoir allier leurs exigences et des impératifs économiques ».
La mission de l’entreprise
Vous parlez de RSE, tout ce qui est responsabilité sociétale des entreprises, que ce soit pour les humains mais aussi pour l’environnement. Quel sens donnez-vous à votre mission, à vous, individuellement et par rapport à l’entreprise dans laquelle vous êtes ?
Mr Lhuissier : C’est un exercice que j’ai fait l’année dernière. Je m’intéresse beaucoup et je m’inspire beaucoup du monde de la start up. J’ai découvert que dans le monde de la startup, on avait beaucoup moins ces cloisonnements et ces hiérarchies qui ont lieu dans les entreprises un peu plus classiques.
On va dire que souvent on est sur des profils juniors, qui ont des idées, qui montent des boîtes à la force de leur de leur bras et qui mettent en place tout un tas de choses qui moi me semblent très intéressantes. Même si je ne suis pas tout à fait non plus d’accord avec le modèle économique, par exemple des levées de fonds.
En tout cas sur la culture d’entreprise, les process et toutes les actions qui mettent en place pour essayer de créer une entreprise à la fois performante, efficace mais aussi humaine, ça m’inspire beaucoup.
J’écoute beaucoup de podcasts, de grands entrepreneurs. J’aime beaucoup l’émission « qui veut devenir mon associé » par exemple. Il y a aussi plein de podcasts où ces grands startupers racontent un peu leur expérience. J’ai vite compris qu’il y avait besoin de créer une culture d’entreprise. La fondation d’une boîte c’est la culture d’entreprise et que la culture d’entreprise ça passe notamment par la mission, le sens, le why.
Le pourquoi et la mission qu’on a dressé à CREE, c’est contribuer au développement des compétences des personnes pour leur permettre de prendre en main leur destinée. C’est clair que par la formation, on veut aider les gens à devenir meilleur, tout simplement, à s’améliorer, à avoir de nouvelles connaissances, compétences qui vont leur permettre de maximiser leur potentiel et de se révéler tout simplement ».
Les valeurs de l’entreprise
Mr Lhuissier : « On a dressé trois valeurs qui sont :
– Contribution : Il faut avoir envie d’aider les autres si on veut travailler à CREE, si on n’a pas envie de contribuer à un monde meilleur, à aider son prochain, on ne pourra pas forcément travailler pour une entreprise comme la nôtre.
– Innovation parce que, comme je vous l’ai dit, mon ambition, ce n’est pas seulement de monter des centres de formation, ça va beaucoup plus loin, c’est vraiment de craquer complètement le monde de l’éducation.
J’ai envie d’essayer d’autres façons d’apprendre, d’éduquer, notamment au niveau pédagogique, au niveau éducatif, au niveau social, au niveau accompagnement.
Par exemple, on a une coach cognitive, qui travaille sur les problèmes d’apprentissage, qui met en place des stratégies d’apprentissage et qui donne un cours qui s’appelle « apprendre à apprendre ». C’est inspiré des neurosciences.
On tend de plus en plus vers la neuro-éducation, c’est à dire prendre vraiment en compte les particularités du cerveau et de chaque individu. Comment est-ce que cet individu pourrait apprendre le mieux et non pas avec une méthode empirique et universelle où les individus doivent s’adapter. Là c’est nous qui tentons de nous adapter, ce qui devrait être la norme.
– Ambition : on veut que ça se développe de plus en plus en intégrant ces nouvelles valeurs éducatives dans tous nos centres. Il faut aussi avoir de l’ambition dans la vie, en tout cas modestement et à mon échelle ».
Une entreprise inclusive
Ce que vous dites laisse l’ouverture à des personnes au profil plus atypique d’intégrer plus facilement des formations qui vont s’adapter à leur façon de fonctionner ?
Mr Lhuissier : « Exactement, par exemple, les dys, sans parler de ce que l’on entend jamais parler à la Réunion : le nombre de jeunes en « échec » scolaire est lié notamment au nombre de personnes avec des troubles dys ou des rechutes mais qui ne sont parfois même pas diagnostiqués, c’est quelque chose d’assez impressionnant ».
Vous faites tout pour adapter vos façons et vos pratiques d’apprentissage pour les personnes qui rencontrent des difficultés dans un système plus classique.
Mr Lhuissier : « On essaye en tout cas. On n’a pas trop le choix et c’est tant mieux parce que de toute façon, si à ces personnes-là on leur prodigue un cours classique en espérant qu’elles retiennent tout d’un coup juste en rabâchant des trucs par cœur, on peut arrêter tout de suite.
Ce n’est pas comme cela qu’elles apprendront le mieux. Souvent, ce sont des personnes plus kinesthésiques, que visuelles ou auditives. Elles apprennent par « le faire », plus que par l’auditif et le visuel On essaie donc de s’imprégner beaucoup des neurosciences. Nous sommes entrain de développer de l’accompagnement dys pour les adultes. C’est quelque chose qui en fait n’existe pas ».
Est-ce que c’est parce que souvent les adultes n’ont pas été détectés à l’époque, et donc pas autant pris en compte ?
Mr Lhuissier : « Il y a beaucoup de choses pour les enfants, notamment dans la neuro éducation, pour les troubles dys. Mais une fois qu’on est adulte. En gros, on a plus, on a plus le droit d’être accompagné ».
En quoi c’est important pour vous de justement d’adapter les systèmes d’apprentissage à justement ces types de personnes qui vont être plus atypiques sur leur façon d’apprendre ?
Mr Lhuissier : « C’est important parce que nous, on considère que tout le monde a un potentiel caché au fond de lui. Ce n’est effectivement pas forcément le potentiel qui est demandé, soit par le monde du travail, soit par le monde scolaire ».
C’est à dire que clairement, le monde scolaire vous demande d’apprendre par cœur, d’être bien ordonné en rang deux par deux, d’être un petit pantin qui fait tout ce qu’on lui demande. Or, le monde de l’entreprise vous demande totalement l’opposé. Le monde du travail demande d’être quelqu’un d’autonome, qui prend des initiatives, d’être créatif. Pour nous, ça part de là, on croit que chacun a un potentiel qui ne demande qu’à être révélé, et que ce potentiel peut être manuel, intellectuel, émotionnel ».
Au final, vous partez de la personne, vous identifiez ses talents les développer au mieux sur un poste adéquat ? Vous êtes quand même sur un terrain d’application qu’est l’hôtellerie-restauration, qui a du mal à attirer des personnes. Qu’en pensez-vous ?
Mr Lhuissier : « Justement l’hôtellerie n’est qu’un terrain d’application et c’est d’ailleurs dommage. C’est aussi une autre chose qu’on a beaucoup dans le monde français, c’est qu’on est encore très attaché au métier. Et pour moi, on devrait plus réfléchir au métier parce qu’il y en a tous les jours qui disparaissent, il y en a tous les jours qui apparaissent. Ça n’a plus de sens de former des jeunes à un métier.
Pour moi, il faut qu’on forme des jeunes à des compétences, des compétences transversales, des compétences qui peuvent être des « hard skills » ou des « soft skills ». Et c’est encore mieux si c’est des « soft skills ». Des hard skills, ça s’apprend assez facilement si on a déjà les soft skills ».
Une approche holistique de la formation et du travail
Mr Lhuissier : « Pour moi, il y a aussi un fossé entre ce qui est souvent catégorisé chez les personnes issues d’un milieu social modeste en disant qu’elles ne sont pas capables d’apprendre ou de toute façon c’est trop tard parce que ça aurait dû se faire pendant leur éducation. Moi je ne suis pas d’accord.
Ce n’est pas parce qu’on n’a pas appris ça, par ses parents à huit ou neuf ans qu’on ne peut pas l’apprendre encore à 30, 40 ou 50 ans.
Alors bien sûr, parfois ça va être un petit peu plus difficile, plus long, parce que quand on est adulte, on a des certitudes, des croyances, des visions, des choses, des perspectives qui sont bien ancrées. Mais il n’est jamais trop tard. Et nous, on essaye même avec les adultes de leur faire changer de perspective et de les former sur des soft skills ».
Nouvelles définition du travail et vision de l’hôtellerie-restauration
Mr Lhuissier : « Mes parents, mon grand-père, sont issus du secteur hôteliers restaurateurs à la base. C’est là-dedans que ma mère, la première, a eu l’idée de créer son centre de formation déjà à l’époque, en opposition au système éducatif classique des lycées hôteliers qu’elle a fréquentés et dont elle trouvait qu’il n’y avait pas assez de professionnalisation, ça veut dire que c’était trop théorique. »
Quand on forme sur des métiers qui sont définitivement pratiques et manuel et on vous laisse dans une salle de cours pensant deux ans avec deux stages de deux semaines et vous êtes supposé devenir commis de cuisine ou réceptionniste après ça ?
Elle était déjà dans l’innovation il y a plus de 30 ans. Son parti pris au niveau pédagogique, c’était de ne pas faire ça dans des restaurants d’application ou des cuisines témoins, mais de faire ça dans des hôtels partenaires, dans des milieux professionnels réels et existants.
Les apprenants, était tout de suite mis au contact d’une vraie équipe, de vrais clients, bien sûr protégés par un formateur qui devait leur faire acquérir des compétences de base, mais tout de suite dans un vrai milieu professionnel.
Ça s’apprend par l’expérience. Et ça a un nom d’ailleurs, aujourd’hui, ça n’existait même pas il y a 30 ans, c’est la formation en situation de travail : l’AFEST.
Aujourd’hui on a des partenaires comme le Palm, la Villa Delisles, comme le Mercure Créole. Une grande partie de nos formations se fait dans ces hôtels partenaires qui nous mettent à disposition leur plateau technique, leur cuisine, leur salle de restaurant. Et nos apprenants avec leurs formateurs vont apprendre leur futur métier et les compétences.
Là où je me différencie un peu de mes parents, c’est que je ne crois plus au projet de carrière. On voit bien les nouvelles générations, elles n’ont pas d’ambition, vraiment de carrière, elles se voient pas toute leur vie sur le même métier.
« Et j’ai envie de dire c’est tant mieux parce que de toute façon, les métiers aujourd’hui disparaissent et apparaissent.
Il faut savoir s’adapter en permanence. Travailler sur les compétences, c’est s’adapter à tout. Donc ce qui est important, ce n’est pas le métier en lui-même, ce sont les compétences qui sont travaillées.
Et quoi de mieux que le secteur de l’hôtellerie ? Parce que en terme de compétences, on a un panorama de compétences qui sont travaillés. Une fois que vous êtes passés dans des milieux comme l’hôtellerie, en fait, presque tout devient facile ».
L’attractivité du secteur de l’hôtellerie-restauration
Vous dites quand on passe par l’hôtellerie, on peut aller sur tous les secteurs. ?
Mr Lhuissier : « Quand on prend par exemple un métier qui est aujourd’hui en désuétude totale, où on n’arrive plus à trouver personne : le service en salle, le métier que j’ai effectué moi-même.
Les gens désertent ce métier là parce qu’ils ne voient que le métier dégradant, avilissant de servir l’autre, d’être un peu le larbin de l’autre. Déjà, même le nom, on n’aurait pas dû donner ce nom-là. Serveur, ça fait un peu servile. serviteur, servante. Rien que le nom ne donne pas envie.
Pourtant, quand on prend ce métier là en termes de compétence, on fait de l’accueil client, on fait de la commercialisation, de la vente. Il faut vendre des cafés, des desserts, des plats du jour , avoir une très bonne présentation. Il faut pouvoir faire du conseil client sur les accords mets et vins, même touristique, quand il y a des touristes qui sont là, dans le restaurant, dans l’hôtel et renseigner sur ce qu’il y a de sympa à faire aux alentours ».
« C’est un métier manuel dans lequel il faut avoir une rigueur, une organisation, une gestion de l’hygiène, de l’entretien. On travaille un panel de compétences qui est tellement large que derrière ce sont des choses qui peuvent être réutilisables dans pleins d’autres métiers et dans pleins d’autres secteurs d’activités ».
L’hôtellerie souffre d’une image très négative en termes de conditions de travail. Vous, vous êtes plutôt du côté de la formation.
Quel sens donner à ce secteur ? Comment arrivez-vous à faire le lien entre toutes les valeurs que vous transmettez et les entreprises pour lesquelles vous n’avez pas de contrôle finalement sur le type de management et de gestion de l’entreprise ?
Mr Lhuissier : « C’est aussi notre ambition avec CREE, de faire évoluer les pratiques de certains. Attention, je précise certains hôteliers restaurateurs parce qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier encore une fois.
Oui, c’est un secteur qui avait une réputation assez difficile il y a encore 10 – 20 ans déjà. Ça a quand même beaucoup changé depuis quelques années. Il y a eu des lois aussi qui sont passées.
Le SMIC hôtelier par exemple, est au-dessus du SMIC classique, alors que pendant 40 ans il était en dessous, ce qui était absolument anormal.
Certains de nos partenaires sont vraiment exemplaires en la matière, en termes de RSE, de QVT. C’est compliqué d’engager plus de choses que ce qu’ils n’ont fait. Et d’ailleurs, on voit l’efficacité puisque aujourd’hui on a des grands hôtels qui n’ont plus aucun problème de turnover à la Réunion. Certains hôtels aujourd’hui, s’en tire mieux que d’autres secteurs économiques. »
Est-ce que vous faites attention à cela dans vos partenariats ?
Mr Lhuissier : « Bien sûr. On fait attention, on a un système de blacklist, par exemple sur les entreprises où on sait qu’il y a des abus, des problèmes de management. Il y a encore cinq ans, quand un restaurant ou un hôtel, voulait un jeune en contrat d’apprentissage par exemple, il nous disait vouloir un apprenti en horaire, en coupure, qui travaille le soir et le weekend. Cela n’existe presque plus sur le marché. Si on nous demande, on leur dit « écoutez, on prend votre offre, mais sachez qu’à côté de vous, j’ai dix entreprises qui ont adapté leurs horaires et qui proposent du travail la journée, le weekend end, sans coupure, et qui ont adapté les postes de travail » ».
Pensez-vous que faire attention aux conditions de travail, comme cités juste avant, participe à donner envie de s’orienter, de rester, et d’évoluer dans ce secteur ?
Mr Lhuissier : « Oui, pour arriver à recruter tout simplement, ils sont un peu obligés de passer par là. Attention, il ne faut pas oublier qu’il y a une réalité aussi de ce secteur. C’est un secteur qui est là pour héberger, restaurer et divertir les gens et à quels horaires on restaure, on divertit, on héberge des gens ? C’est le weekend, les vacances scolaires, le soir.
A un moment donné, il y a aussi des particularités propres à chaque secteur d’activité et à chaque métier qu’on ne peut pas non plus complètement adapter ou dénaturer. Et ça, il faut aussi que les gens le prennent en compte.
Je veux bien qu’on ne mette que du travail la journée, jamais le weekend. Il n’y a aucun souci. Mais on ne peut pas dans ce cas-là, attendre que nous, en tant que client, on ait le droit à des restaurants le soir, qu’on puisse partir en vacances le weekend, c’est tout un changement.
C’est toute la société de consommation dans son ensemble à remettre en question. Moi, je serais plutôt pour aller dans ce sens-là.
Effectivement, certains restaurants en hexagone ont d’ailleurs arrêté de travailler les soirs et les weekends.
Mr Lhuissier : « Mais ceux qui ont pu. Parce qu’il y a une réalité économique encore une fois derrière. Quand vous faites un seul service plutôt que deux il faut beaucoup de couverts et avoir les reins solides. Même avec la meilleure volonté du monde, beaucoup de restaurants ne peuvent pas adapter et ne faire que du travail en journée parce que c’est le soir où il y a le plus de clients ».
Est-ce qu’il faut absolument vouloir recruter des personnes pour qu’elles restent ? Ou accepter le turnover, voire en faire une politique d’entreprise ? (J’ai d’ailleurs une amie qui veut faire un mémoire sur ce sujet, et le système universitaire classique n’est pas d’accord)
Mr Lhuissier : « C’est vrai. C’est maintenant, tous secteurs confondus, à part le secteur public où il y a encore des contrats particuliers de gestion de carrière, qui ne subissent pas le turnover. Il vaudrait mieux que ce soit choisi.
Le turnover en soi, ça montre que les gens peuvent changer régulièrement et amener aussi de la fraîcheur en entreprise. À partir du moment où vous avez des process qui sont suffisamment costauds, une culture et le socle commun qui reste, avec quelques cadres bien sûr, qui doivent faire partie de l’histoire pendant un certain temps. Tout le reste peut bouger régulièrement. Le monde des start up le montre très bien. Ça bouge sans arrêt au niveau de leur de leurs collaborateurs ».
En bref …
En bref, cet article met en lumière une vision novatrice de la gestion d’entreprise, en soulignant l’importance de la diplomatie, la valeur du travail et l’expérience, ainsi que les valeurs humaines dans le recrutement et la gestion des équipes.
À travers le parcours personnel de Mr Lhuissier, enrichi d’expériences variées allant de la restauration à la défense des droits humains, cet article illustre comment des compétences diversifiées peuvent enrichir le quotidien d’un manager et contribuer à une gestion d’entreprise centrée sur l’humain.
Il aborde également la question de l’intégration de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de la qualité de vie au travail (QVT), en montrant comment une transition vers une posture de « salarié-responsable » peut générer une prise de conscience et une meilleure gestion des responsabilités et du bien-être au travail, tout en comprenant les difficultés que cela peut engendrer.
L’article soulève des réflexions sur les critères de recrutement, la valorisation de l’expérience et des qualités humaines au-delà des diplômes, et l’importance de la formation continue adaptée à tous, y compris les profils atypiques.
Enfin, il invite à repenser les pratiques managériales et organisationnelles pour favoriser un environnement de travail inclusif, équitable et motivant, contribuant ainsi au développement durable des entreprises par le bien-être de leurs salariés.
L’article met en avant que penser autrement le travail, vouloir changer les choses, en agissant de la façon dont on pense le mieux est assez complexe. Cela ne peut pas fonctionner à tous les coups, mais comme disait Einstein :
« la seule folie est de faire toujours la même chose en espérant un résultat différent ».
L’interview a également amené Mr Lhuissier à s’exprimer sur sa vision du système éducatif français.
Je vous laisse apprécier ce bonus. N’hésitez pas à réagir en commentaire, les échanges n’en seront que plus fructueux
BONUS : Le système éducatif vu par Mr Lhuissier :
« Aujourd’hui, je suis très critique envers l’appareil formatif français, que ce soit du secondaire jusqu’à l’université. Pour moi, il y a un grave problème au niveau éducatif en France, et je pense que c’est une des raisons d’ailleurs qui fait que l’on retrouve ce gap au sein du marché du travail entre les employeurs et les salariés.
Je pense que l’appareil de formation français ne conditionne pas de la bonne façon, ou en tout cas au contraire, conditionne trop sur des choses très normatives qui ne sont pas du tout adapté à la réalité du monde du travail. Du coup, quand un jeune arrive sur ce marché, il tombe complètement des nues. Il est mal préparé, mal informé, mal renseigné, mal accompagné. Parce qu’en plus ils sont accompagnés, pour beaucoup, par des personnes qui n’ont jamais évolué, dans le monde de l’entreprise privée. Ce sont des personnes qui ont fait tout de suite des concours, et qui sont restées dans un système institutionnel.
Donc les CPE qui conseillent sur l’orientation, la majorité du temps n’ont eux-mêmes jamais exercé d’autres métiers. Pour moi, il y a une vraie question sur le modèle éducatif français, pour avoir en plus connu le modèle éducatif anglo-saxon qui a été une découverte incroyable. Ce modèle est davantage pratico pratique.
La première surprise, en arrivant au lycée aux États Unis, a été que tu choisis tes matières. Tu as des coefficients, donc en fonction des notes que tu veux avoir qui peuvent te permettre de passer dans des universités prestigieuses, à toi de choisir.
Déjà, pour moi, ça fait sens, on responsabilise les étudiants. C’est à dire que ce ne sont pas des pantins qui doivent avoir 20 sur 20 pour juste avoir un diplôme à la fin. Chacun va choisir des classes par niveau en fonction de ses ambitions et de ses expectatives pour la suite après le lycée.
Si tu veux aller à l’université dans une fac de biologie, il faut que tu prennes des matières scientifiques avec un niveau très élevé.
Par contre, tu peux prendre du littéraire à des niveaux trois ou quatre.
Je pouvais être « en sixième » au niveau maths et « en terminal » au niveau philo ou français. C’est nous qui choisissons.
Le système est vraiment individualisé. J’avais dans la journée six ou sept cours différents, des cours qui changeaient tous les jours et à chaque cours je changeais de classe.
A 14 h, j’avais du sport Tous les grands sports les plus connus gratuitement avec les profs eux-mêmes de maths, de français qui sont aussi des profs de sport. ça crée un lien fort. Il y a du cinéma, il y a du théâtre, il y a de la musique, tout ça gratuitement.
En terme culturel, artistique, sportif, on se demande pourquoi les Américains sont les plus forts. C’est leur système éducatif qui leur parle.
Après on bascule dans l’extrême inverse au niveau universitaire. Il y a des universités publiques mais elles ne sont pas très bien cotées. Mais les universités privées sont très chères. On tombe dans le système privatif pur et dur. Mais au niveau du lycée, on est quand même sur une qualité d’enseignement, de pédagogie, d’activités ludiques et sportives sans égal.
Je pense que ça aide beaucoup les jeunes à se responsabiliser et à trouver leur voie finalement beaucoup plus rapidement qu’en France où on nous impose tout un tas de matières et de choses jusqu’à très tard.
Et vous, cher lecteur et chère lectrice, que pensez-vous du système éducatif français ? Aide-t-il la jeunesse à trouver sa voie ?
Un énorme merci à Mr Lhuissier pour ces échanges complets et passionnés. Merci pour son authenticité… Son interview continue par ici :
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