Si vous n’avez pas déjà lu la première partie de cette interview, n’hésitez pas à la consulter rapidement : « L’hôtellerie et la restauration autrement« .
Si vous l’avez déjà lue ou parcourue, je suis ravie de vous retrouver ici. Cette deuxième partie est davantage axée sur l’importance de développer son pouvoir personnel au sein de l’entreprise.
Ce pouvoir personnel concerne notre responsabilité individuelle à travers nos choix, actes et pensées. Comme mentionné dans l’article « Bien-être au travail : dépasser les ateliers de développement personnel » , prendre du recul sur soi-même au lieu de rejeter la faute sur autrui ou sur les circonstances est une compétence essentielle pour trouver du sens dans son travail et des solutions à son bien-être.
Julien Lhuissier, directeur de l’organisme de formation CREE, nous donne son avis à ce sujet.
Le pouvoir personnel
Que pensez-vous de l’hypothèse que le sens et l’intérêt qu’on va trouver au travail engagent davantage ?
Mr Lhuissier : « Je suis assez surpris là-dessus parce que pour moi ça paraît évident. Tout le monde parle de sens. Je trouve que c’est très variable. Les nouvelles générations sont un peu enfermés dans leurs propres contradictions parce qu’ils parlent de sens à tout va. Mais quand on demande de s’investir un peu plus pour un projet qui est humain et social, ce n’est pas forcément ça qui va donner en premier l’envie de s’investir beaucoup plus.
De ce que j’en ai vu, ça dépend vraiment des gens. Pour moi cette notion de sens, elle reste assez nébuleuse dans la tête des nouvelles générations.
Petit aparté, le sens de l’hôtellerie restauration c’est aussi celui d’aider les autres. On le voit souvent sous son aspect « Ah c’est dur comme travail, on travaille le soir, le weekend », mais on oublie que la base de nos métiers, c’est quand même de donner du plaisir aux gens, de leur faire passer un moment magique, agréable, où ils se ressourcent avec leur famille, avec leurs amis, où ils mangent un bon repas, où ils oublient leurs soucis du quotidien.
On est un peu des guérisseurs d’âme et de plaisir.
Les gens qui travaillent dans ce domaine l’oublient complètement. Là où l’on peut y voir que l’aspect manuel on occulte le fait qu’on guérit un peu les gens. On ne vend pas des téléphones qui vont disparaître deux mois après.
On vend des moments immatériels qui ne se consomment que par l’instant présent. Quand on le voit comme ça, c’est un secteur hyper intéressant.
C’est dommage qu’on en ait tiré mauvaise presse. On ne peut pas vouloir tous les avantages et pas les inconvénients du marché du travail. Et ça, pour moi, c’est important de le rappeler. C’est le système économique des consommateurs qui impose les temps de travail.
C’est ce que j’ai découvert en passant d’une posture de salarié à celle d’employeur. Je contestais beaucoup de choses en étant salarié. Je n’étais pas d’accord, je voulais mettre en place certaines actions.
Je ne comprenais pas non plus la vision d’un employeur qui pouvait être carré, pas suffisamment gentil avec ses salariés. Aujourd’hui, je le comprends parce que c’est aussi la nature humaine. C’est le développement personnel qui me l’a fait comprendre.
D’où l’importance de travailler sur soi. A un moment donné, oui, le cadre de l’entreprise peut être difficile, mais cela n’est qu’un reflet de la vie de tous les jours.
J’entends beaucoup, et qui est très réunionnais, que beaucoup de ruptures se font à cause de l’ambiance au travail. « Pourquoi tu as arrêté ? J’ai quitté parce qu’il y a une mauvaise ambiance ».
Cela m’a toujours surpris parce que je me suis dit « mais attends, une mauvaise ambiance, qu’est-ce que ça veut dire ? » Ça veut dire qu’on va travailler pour qu’il y ait une ambiance festive, comme si on était en vacances ?
Bien sûr que c’est important l’ambiance, de s’entendre un minimum avec ses collègues, avec les clients, etc. Est-ce qu’on se lève le matin pour n’être que dans du positif et que dans une ambiance festive ? Est-ce qu’on se lève le matin pour travailler et aller chercher des choses beaucoup plus importantes ? des envies de carrière? du confort matériel ? des vacances? des voyages? du temps avec sa famille?
Tout cela a un prix. Et ce prix-là, il doit être payé à un moment donné. On ne peut pas le payer uniquement sans le moindre effort en n’ayant que du positif tous les jours.
Le monde de l’entreprise n’est qu’un reflet de la vie personnelle que l’on vit tous au quotidien.
Des fois on va très bien s’entendre avec son manager comme on va bien s’entendre avec ses parents, mais par contre on ne va pas bien s’entendre avec son cousin ou certains amis.
Dans l’entreprise, c’est pareil, on va s’entendre très bien avec certains managers et avec d’autres beaucoup moins. Mais est-ce que c’est pour ça qu’on va tout foutre en l’air ?
Moi, ça me fend le cœur de voir le nombre de personnes qui arrêtent la formation ou leur contrat d’apprentissage pour une incompréhension, un obstacle.
Ça fait dix ans que je travaille dans ce domaine et 90 % des ruptures sont liées à la personne elle-même. Le cas classique : une engueulade avec un manager ou un collègue. Elle s’est engueulée avec un manager ou un collègue, elle a mal pris une remarque ou une réflexion. Il y a une mauvaise ambiance, j’arrête tout ».
Est-ce que les questions de connaître le niveau de motivation et les raisons de l’engagement en formation n’ont pas toutes leurs importances dans le fait d’abandonner rapidement ou non ?
Mr Lhuissier : « Le sujet vient encore une fois de l’éducation. Si on permettait aux jeunes de réfléchir beaucoup plus justement. Pas absolument à quel métier tu dois faire. « Donne tes dix vœux, sinon tu seras nulle part », mais plutôt les aider à s’interroger sur eux-mêmes, sur leurs vraies expectatives, leurs vraies motivations, leur vrai potentiel, etc. On aurait beaucoup moins ces problèmes dans le monde du travail.
Mais en même temps, on ne peut pas être motivé uniquement par des choses qu’on aime. Quand on prend les exemples des grands sportifs, des champions, des artistes, des chanteuses, ce sont des gens qui pour le coup, ont trouvé leur voie, leur potentiel.
Intéressez-vous à leur parcours. Ce sont des gens qui ont des parcours très difficiles. Ce sont des gens qui en ont bavé, qui ont été humiliés, qui n’ont pas gagné un sous pendant des années avant d’y arriver.
C’est cette capacité de résilience, pour moi, qu’on a perdu aujourd’hui dans la société.
Dès qu’il y a de la mise en difficulté on arrête dès la première épreuve. Bien sûr que le monde du travail est une partie de la vie qui vous met régulièrement en difficulté. C’est vraiment dommage car l’échec nous apprend beaucoup plus que la réussite.
J’ai toujours connu les deux côtés, mes parents, chefs d’entreprise et moi. J’ai eu une carrière de salarié et aujourd’hui je prends le pas.
Pour moi c’est une ineptie cette guerre : « les méchants patrons versus les gentils salariés ». C’est complètement faux. Il y a des « bons » patrons comme il y a des « méchants » patrons ou des gens qui sont encore trop directifs, qui ont pas bien compris.
Du côté salariés, c’est la même chose. Il y a des personnes très investies qui sont très motivées, qui comprennent les choses et il y en a qui, dès qu’on leur demande la moindre petite chose qui va les sortir de leur zone de confort, ne vont pas être de bonne volonté.
L’entreprise, une aventure collective
Ce qui est fou pour moi, c’est que l’entreprise est une aventure collective qui est portée par tout le monde. Bien sûr il y a une hiérarchie, mais pour une question d’efficacité. Comme dans un bateau où vous avez un capitaine, des moussaillons et vous avez des postes bien précis pour que le bateau puisse arriver à bon port.
Dans une entreprise il y a des capitaines, il y a des managers, des directeurs, mais il y a aussi des hommes, des moussaillons, des opérationnels.
Il faut que tout le monde travaille ensemble de concert pour arriver à l’objectif prévu. Tout le monde est dans le même bateau.
Je trouve dommage d’adopter une posture de victimisation, souvent de façon inconsciente, et qui n’aide pas à faire avancer les choses. »
Elles ont des difficultés à trouver leur pouvoir personnel. Pour développer le sujet, je conseille aux lecteurs et lectrices cet outil d’auto-coaching « choisir-subir » :
Mr Lhuissier : « Exactement. Et parce qu’on les a encouragés à rester dans cette position. Cela arrange peut-être d’avoir des personnes plus facilement dépendants des aides, etc. plutôt qu’elles soient autonomes et maîtresses de leur propre destin et de leur parcours.
C’est dommage parce l’entreprise est une aventure collective qui permet d’avancer ensemble dans un but commun et avec un sens profond.
C’est effectivement aux entreprises de le formaliser du mieux possible pour le faire comprendre et entendre à leurs salariés et ainsi leur donner envie d’embarquer.
Et rien n’est acquis aussi. Chacun a sa part à faire. Pour moi, ce n’est pas que les entreprises qui doivent se remettre en question, c’est les deux.
Les entreprises doivent se remettre en question dans leurs pratiques, dans leur mode d’acculturation, dans leurs objectifs qui ne doivent pas être que quantitatif, mais aussi qualitatif. Les salariés aussi doivent avoir leur part à jouer et comprendre que si on leur laisse plus de liberté, il va falloir aussi peut être parfois plus organiser sa vie.
On ne peut pas avoir que le positif sans contrepartie. Un employeur ne risque pas juste son poste, il risque quasiment sa vie, sa maison parfois qu’il a hypothéqué et il a la responsabilité de la vie de beaucoup de personnes.
Ce qui justifie d’ailleurs la majorité du temps les différences de salaires entre ces différents échelons même s’il existe bien sûr des abus notamment côté actionnaires du cac 40 ou grand patrons de multinationales.
Hors les gens oublient parfois qu’il s’agit d’une minorité et que les « petits patrons » de PME ne gagnent bien souvent pas de salaire mirobolant ou peuvent parfois à peine se dégager un salaire décent…
« Vis ma vie »
Mr Lhuissier : Nous, par exemple, on a prévu un « vis ma vie ».
Ça fait partie de notre plan d’actions, parce qu’on a aussi ce problème entres postes.
Il y a deux grandes catégories de postes pour moi, dans presque toutes les entreprises, il y a les gestionnaires et les commerciaux. Ce n’est pas du tout le même système de représentation interne, la même personnalité. Les gestionnaires vont être des personnes souvent plus introverties, carrées, organisées. Et tant mieux parce c’est beaucoup d’administratif. Les commerciaux vont être beaucoup plus ouverts, extravertis et un peu moins organisés. Au sein d’une entreprise, ça ne va pas toujours matcher.
Le « vis ma vie » va permettre à des conseillères de passer par le poste de gestionnaire et inversement pour mieux se représenter ce que fait l’autre.
Parce que dans une entreprise, on est souvent dans cette suspicion permanente que l’autre en fait moins ou plus que nous, qu’il est payé moins ou plus et on est toujours à s’occuper des autres et jamais de soi finalement ».
La communication bienveillante
C’est la « non connaissance » de l’autre qui peut amener des frictions et des conflits. Alors qu’à travers un « vis ma vie », on commence à comprendre et se mettre davantage à la place de l’autre.
Mr Lhuissier : Je mets en place de la CNV (Communication Non Violente) en interne je veux discuter vraiment avec les collaborateurs. J’ai une grille d’entretiens maintenant qui est basée sur la communication non-violente.
Pourtant, ce n’est soi-disant pas conseillé de donner son ressenti. Si on regarde les grands principes de management, il ne faudrait parler que des faits et non du ressenti. Moi je trouve que c’est important de donner son ressenti dans un sens comme dans l’autre.
Donc une des techniques qui peut permettre de donner plus de liens entre les personnes et de réconcilier ces deux mondes : La CNV pour moi est la clé.
On trouve des solutions communes en partant des faits, des ressentis, pour mettre en avant les besoins de chacun, les demandes et on arrive à des solutions.
Ce fameux problème de représentation est pour moi la cause des principales ruptures à la Réunion.
Par exemple, quand je demande aux jeunes : « est ce qu’il n’y a quand même pas quelque chose que tu aurais pu faire avant de tout arrêter comme ça ? ». Ils comprennent d’eux-mêmes. « Oui, j’aurais peut-être pu en parler » ».
L’importance de l’assertivité
Ne pas oser dire…
Mr Lhuissier : « Exactement. Souvent on est dans la représentation, la croyance qu’on se fait de ce que l’autre va penser. Mais parfois, une simple discussion autour d’une table à mettre les choses à plat peut permettre de résoudre 90 % des situations.
D’où l’importance des RH qui doivent être là justement pour remettre à plat tout ça
Je veux mettre en place un leadership qui est à la fois performant et humain. Et pour moi, les deux sont tout à fait conciliables« .
Introduction à la permaculture du travail
On arrive à la fin de cet interview, j’ai envie de vous proposer de piocher une carte « permaculture du travail ». Je travaille avec cette approche qui s’appuie sur le biomimétisme. L’idée est de développer son entreprise en se basant sur les lois du vivant. Ce sont donc des cartes en lien avec une loi du vivant.
Mr Lhuissier : « Super moi, ça m’évoque justement ce qui fait de nous des êtres humains et qui fait qu’on est aujourd’hui l’espèce dominante.
On a pour moi tous en nous une part d’obscurité et une part de lumière. L’entreprise est la représentation de notre nature profonde.
Il y a une part d’ombre, lorsqu’on est en conflit permanent, qu’on regarde toujours l’autre, qu’on jalouse, le patron, le voisin, … et il y a une part de lumière.
Finalement, l’entreprise est l’outil et l’invention humaine qui, pour moi, est une des inventions les plus extraordinaires de l’homme. C’est un travail collectif. Partir de rien et construire par l’imagination et la coopération.
Tous ces hommes, ces projets et ces sociétés extraordinaires, ultra complexes peuvent être soit très vertueuses, soit très néfastes pour l’homme et son environnement ».
Si la société est néfaste est-elle finalement durable ?
Mr Lhuissier : « On en revient toujours finalement à ce principe philosophique : tout ce qu’on va voir dans les entreprises des collectivités et des organisations, est à l’image de la nature même de l’homme qui est à la fois obscur et lumière ».
« Il suffit juste de révéler un peu plus ce côté lumière en chacun de nous, que ce soit les employeurs ou les salariés ».
En bref …
Dans cette deuxième partie d’interview Mr Lhuissier aborde la complexité du sens au travail, notamment pour les nouvelles générations. Il souligne l’importance du bien-être des employés et du développement durable des entreprises, en mettant l’accent sur le fait que le salaire, bien que crucial, n’est pas l’unique facteur d’engagement au travail.
L’interview révèle une vision nuancée du sens au travail, où l’engagement pour des projets à dimension humaine et sociale ne trouve pas toujours de résonance auprès des jeunes générations, perçues comme étant à la recherche de sens mais parfois réticentes à s’investir pleinement.
Les échanges mettent en avant la responsabilité individuelle de trouver sa voie, ce qui va nous motiver, pour avancer vers cela. Cette responsabilité individuelle, que j’appelle son pouvoir personnel, va optimiser le travail en collectif, et surtout l’intégration optimale au sein du monde du travail.
Mr Lhuissier partage également sa transition de salarié à employeur, découvrant la complexité des enjeux économiques et humains à cette position, et souligne l’importance du développement personnel et de la compréhension mutuelle dans le monde du travail.
En conclusion, Mr Lhuissier plaide pour une vision de l’entreprise comme une aventure collective où chaque membre, indépendamment de sa position, contribue à l’atteinte d’un objectif commun, dans un esprit de collaboration et de respect mutuel.
Une nouvelle fois merci à Mr Lhuissier pour ces échanges et pour le temps précieux qu’il a bien voulu m’accorder pour cette interview.
Qu’en avez-vous pensé ?
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Merci beaucoup pour cet article ! Vous abordez des thèmes super intéressant et ça dès le début avec la quête du sens, j’ai beaucoup aimé !
Oh merci pour le commentaire, j’apprécie votre blog et vos articles, alors ce commentaire me touche particulièrement.
Je partage complètement l’avis de Mr Lhuissier.
Les salariés se découragent rapidement, souvent dès le premier conflit. Mais peu de managers sont formés pour les accompagner dans ces conflits.
Utiliser le « vis ma vie » et la « CNV » est une approche très novatrice et moderne. Tous les chefs et managers devraient être formés à ce type d’approche.
J’ai travaillé pendant plusieurs années dans l’hôtellerie. Et je partage également cette vision d’un métier qui fait du bien aux gens. Passer un bon moment, discuter et partager. C’est ce que j’aimais dans ce métier. Même s’il est difficile, il faut bien l’avouer. Les horaires sont très compliqués à gérer avec des enfants.
J’adore l’idée de la permaculture en entreprise !!
Je ne peux qu’être d’accord avec vous. Cela devrait être un incontournable en formation. Merci pour le partage d’expériences et pour le ressenti.
Cet article offre une perspective rafraîchissante et profonde sur le rôle du pouvoir personnel dans le contexte professionnel. Les échanges entre Sarah Amoros et Julien Lhuissier sont particulièrement enrichissants, mettant en évidence l’importance de la responsabilité individuelle et du développement personnel dans la quête d’un environnement de travail harmonieux et productif. L’initiative « Vis ma vie » et l’approche de la CNV sont des exemples inspirants de comment les entreprises peuvent favoriser une meilleure compréhension et une coopération accrue entre les employés. Cet article est un rappel opportun que la clé d’une entreprise prospère réside dans l’engagement collectif et le respect mutuel, alliant performance et humanité. Un grand bravo pour avoir abordé ces thèmes cruciaux avec tant de clarté et d’insight.
Merci pour ce commentaire et pour les encouragements. Les échanges avec les personnes sont effectivement passionnants, j’avais très envie des le partager dans leur intégralité.
Article très intéressant qui aborde la question délicate de l’investissement entre employés et employeurs. Croire et adhérer au projet de vie de l’entreprise et pouvoir donner son opinion pour mieux évoluer et surtout être capable de laisser son égo de ton côté pour être constamment dans l’amélioration constante.
Merci pour ce commentaire. C’est exactement cela : l’amélioration constante, pour être au plus proche de ce qui nous correspond.