L’avis d’un employeur – La vie d’un employeur : Épisode 11
Introduction
C’est l’histoire de trois salariés qui ont une vision différente de la gestion d’entreprise et qui, au détour de discussions, décident placer l’humain au centre de l’entreprise en créant leur propre modèle. Deux hommes et une femme, aux personnalités diverses et complémentaires. La notion d’intelligence collective prend sa force dans cette diversité. Cette direction incarne cette intelligence collective, et les salariés semblent valider ce modèle.
En effet, j’ai rencontré des salariés par hasard sur un chantier. Il y avait plusieurs entreprises représentées, et j’entendais parler de leur entreprise : TEKOA, qui comprend 13 salariés. Je les ai interrogés sans mentionner ce que je faisais. Ils m’ont alors parlé de leurs bonnes conditions de travail comparées à ce qu’ils avaient déjà connu : salaire, horaires, souplesse, écoute, et matériel adéquat. Bref, je les ai contactés pour les interviewer.
Je me suis alors rendue dans leurs locaux, basés dans un centre industriel de Saint-Pierre. J’y ai retrouvé les trois associés : Séverine Groslambert, avec qui j’ai été en contact et qui a répondu à mes questions, puis Nicolas Guillemard et Florian Dousset, avec qui j’ai eu le plaisir de discuter également sur leur vision de l’entreprise. L’ambiance semblait détendue, et ils montraient un réel intérêt à échanger sur leur fonctionnement. Ils étaient également intéressés et contents que ce soit via leurs salariés que je les ai contactés. En effet, ils tiennent à cœur de gérer l’entreprise de manière humaine et rester productifs, car l’argent reste le nerf de la guerre. L’entreprise a besoin d’être productive pour vivre.
Néanmoins, comme pour tout, il n’est jamais facile de vouloir bien faire les choses. On peut avoir vécu le salariat et avoir vu (et vécu) ce qui ne fonctionnait pas… Ce n’est pas forcément facile d’appliquer les bonnes pratiques, de s’adapter, de se remettre en question et surtout d’essayer différemment. Et quand cela fonctionne, rien ne garantit que cela perdure. C’est un travail sans fin. Je comprends donc bien le plaisir que cela peut représenter lorsqu’un employeur entend des échos positifs de ses salariés. Cela montre à quel point les salariés jouent un rôle crucial dans l’image de l’entreprise. Un salarié qui parle bien de son entreprise et de son travail est un salarié qui donnera envie à d’autres de venir y travailler, et mieux encore, c’est un salarié qui attirera des clients.
Je pense qu’on est moderne par rapport à une façon de diriger un peu patriarcale d’avant. Je pense qu’il faut vivre avec son temps et faire aussi en fonction des nouvelles générations. Parce que c’est vraiment en train de changer. Les conditions de travail que les jeunes souhaitent ne sont plus du tout celles de ma génération. “ Séverine Groslambert
Je ne sais pas si les TPME se rendent compte de l’importance de l’image qu’un salarié a de son entreprise. Finalement, le salarié est le premier commercial de l’entreprise. Il est le premier recruteur… sans que cela coûte forcément plus cher ou ne nécessite un cabinet externe.
Personnellement, j’ai déjà cessé de fréquenter un restaurant ou d’acheter des meubles dans un magasin parce que j’avais entendu ou vu comment les salariés y étaient traités. Et vous, cela vous est-il déjà arrivé ?
Je vous propose de découvrir l’interview de TEKOA, représentée ici par Séverine Groslambert.
Une vision collective et innovante du management
Tekoa : Une entreprise née d’une vision partagée
L’histoire de TEKOA commence avec trois collègues, Séverine Groslambert, Nicolas Guillemard et Florian Dousset, qui décident de créer leur propre entreprise après des années d’expérience en tant que salariés. Leur objectif ? Mettre en pratique une vision différente de la gestion d’entreprise et créer un environnement de travail où chaque salarié se sent valorisé et écouté.
Séverine Groslambert explique : “J’ai toujours eu des postes d’assistante de direction, donc aux côtés des chefs d’entreprise. J’ai vu tous les caractères possibles, les différentes manières de manager. Dans le cas de mon expérience, je savais ce que je ne voulais pas. C’est Nico (Nicolas Guillemard) qui a lancé l’idée de créer l’entreprise. On était déjà bien amis, on s’entendait très bien en entreprise. On allait diriger l’entreprise et la mener comme on le voyait, comme on avait envie.”
L’importance de l’écoute et de la collaboration
Chez TEKOA, l’écoute et la collaboration sont des piliers essentiels. Les fondateurs ont des réunions hebdomadaires, où les sujets de direction sont discutés de manière ouverte.
Séverine Groslambert partage : « Nous nous réunissons au moins une fois par semaine pour aborder les sujets importants. Cela nous permet d’être à l’écoute des besoins de chacun et de trouver ensemble des solutions. »
Cette approche favorise une communication fluide et permet de créer un environnement de travail où chacun se sent impliqué et respecté.
Pour elle, un management qui fonctionne sainement est : “d’être à l’écoute des salariés. C’est le travail collaboratif. C’est se dire:
« -Moi, j’ai besoin de toi. Ce que tu fais, je ne suis pas capable de le faire et tu as besoin de moi parce que moi, ce que je fais, tu n’es pas capable de le faire.«
C’est considérer les caractères de chacun et les contraintes, comme par exemple, les difficultés de la vie à intégrer. Une personne peut avoir des difficultés dans la vie, c’est de pouvoir être à l’écoute et de s’adapter. Après, c’est dans une certaine limite. Je pense que c’est cela que les salariés apprécient, c’est que finalement, on se met au même niveau qu’eux. Et puis, s’ils ont quelque chose, ils n’ont aucun mal à nous contacter et à nous en faire part.”
Des conditions de travail optimales pour le mieux-être des salariés
Flexibilité et polyvalence : Les clés du succès pour TEKOA
Chez TEKOA, la flexibilité et la polyvalence des salariés sont encouragées. Tous les salariés sont formés pour être polyvalents, ce qui leur permet de développer une variété de compétences et de ne pas se retrouver cantonnés à une seule tâche.
Séverine explique : « Nous demandons à nos salariés d’être polyvalents. Cela leur permet d’acquérir de nouvelles compétences et d’être plus adaptables sur les chantiers. »
Cette polyvalence permet non seulement d’optimiser les ressources humaines mais également de répondre plus efficacement aux besoins des clients. Il semble donc s’allier ici un besoin des salariés et la productivité de l’entreprise.
Séverine précise “C’est dans la configuration des chantiers. Si on les laisse dans leur spécialité, (plomberie ou climatisation), on va être obligé de mobiliser deux équipes. Alors que s’il y a une seule équipe, il y a des compétences complémentaires. Par exemple, le chef de chantier est plutôt formé en clim. Il a plus d’expériences en clim. En plomberie, il l’a vu un peu, mais ce n’est pas sa spécialité. Son binôme va être plombier. Lui, il maîtrise moins la clim. Ils vont être complémentaires et ils vont renforcer ensemble leurs compétences.”
Néanmoins, la direction s’adapte également aux personnalités qui ne seraient pas attirées par la polyvalence :
“Il y en a pour qui c’est rassurant de faire une tâche bien spécifique. Développer des compétences dans un autre métier ou domaine peut effrayer. Ces personnes n’ont pas spécialement envie de suivre ce chemin. Mais pour la plupart, à l’inverse, ça donne un challenge. “
Nous retrouvons ici des qualités de communication bienveillante. Je vous en parle dans cet article “ 3 raisons pour apprendre à communiquer en entreprise ”
Des horaires adaptés pour un équilibre vie pro-perso
L’entreprise a également mis en place des horaires de travail flexibles pour permettre à ses salariés de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Par exemple, pour les équipes travaillant sur des chantiers éloignés, une semaine de trois jours et demi a été instaurée.
Séverine raconte : « On a une équipe qui part à la semaine, sur des chantiers éloignés. On les fait dormir là-bas, en grand déplacement. Ils arrêtent leur semaine le jeudi midi. Nous sommes à 39h00, donc ils travaillent 11h00 du lundi au mercredi et 6h00 le jeudi. On condense pour qu’ils puissent ensuite profiter un peu de leur famille.»
Recrutement et intégration : une stratégie humaine
Un processus de recrutement axé sur l’humain
Le recrutement chez TEKOA ne se fait pas uniquement sur la base des compétences techniques. L’aspect humain et la compatibilité avec les valeurs de l’entreprise sont également des critères déterminants.
Séverine explique : « C’est une question de feeling et de volonté d’investissement, si c’est une personne investie, motivée. C’est plus ça en réalité qu’on va chercher. Peut-être que la personne a moins d’expérience, mais si elle est ultra motivée et qu’elle en veut, elle démontre qu’elle a envie de s’éclater dans son métier. C’est ça aussi, c’est l’amour du métier. Nous, ce qu’on recherche, c’est que la personne se lève le matin avec plaisir pour aller au taf.»
Cette approche permet de recruter des salariés qui partagent les valeurs de l’entreprise et qui sont prêts à s’investir pleinement. Cela favorise également l’intégration au collectif de travail et participe ainsi à une bonne ambiance, ce qui donne généralement envie aux salariés de rester.
Le recrutement : un processus qui reste difficile
Malgré un processus de recrutement qui semble plutôt sécurisé et des salariés qui parlent positivement de l’entreprise, les responsables éprouvent des difficultés dans cette tâche incontournable. Lors de ces échanges, nous constatons bien qu’une difficulté de recrutement peut avoir un impact sur les conditions de travail en interne. Cela peut générer du stress et une surcharge de travail, amenant épuisement et départ, soit en maladie ou alors des départs définitifs. Ici, vous pourrez constater que ces problématiques sont identifiées et qu’ils font de leur mieux pour instaurer et garantir de l’écoute et de la confiance.
Constat : Une pénurie de personnel inattendue
Séverine nous explique qu’elle ne s’attendait pas à autant de difficultés pour recruter : « C’était une difficulté à laquelle je ne m’attendais pas : trouver du personnel qualifié. On a été en sous-effectif l’année dernière pendant plusieurs mois et impossible de trouver. Et après, ça s’est décanté grâce au réseau.«
Manque de compétences
Elle poursuit sur ce sujet : « Sans compter le recrutement fait au départ des trois chefs de chantier, qui étaient dans notre réseau, nous avons dû embaucher des personnes peu ou pas qualifiées, comme des apprentis et des jeunes en formation. Cela a entraîné un manque de compétences au sein de l’équipe. Lorsque nous avons voulu recruter des compétences, nous avons été confrontés à la rareté de ces profils sur le marché du travail. »
Impact sur les conditions de travail des chefs d’équipes
Le manque de personnel qualifié a directement influé sur les conditions de travail des chefs d’équipe travaux, ajoutant une pression supplémentaire et compliquant la gestion des chantiers.
Écoute et transparence : Les clés du succès
Néanmoins l’écoute et la transparence dont semblent faire preuve les associés ont permis de résoudre les problématiques rencontrées, tout en maintenant l’engagement des salariés déjà en place : « Nous avons beaucoup échangé avec nos chefs de chantier l’année dernière, courant 2022. Ils nous disaient : ‘Oui, ça ne va pas, ça manque de compétences.’ Nous leur répondions : ‘Nous faisons le maximum pour recruter du personnel compétent.’
Et nous avons réussi. Cette année, courant 2023, et surtout à la fin de l’année 2023, nous leur avons démontré que nous les avions écoutés et que nous avions apporté les compétences nécessaires. Ils se sont sentis plus rassurés sur ce point. »
Grâce à une communication transparente et à l’écoute active des besoins des salariés, TEKOA a su surmonter les défis de recrutement et améliorer les conditions de travail de ses équipes.
L’intégration et la cohésion de l’équipe
L’intégration et la cohésion au sein des équipes des nouveaux salariés est un processus clé chez TEKOA. L’entreprise veille à ce que chaque nouvelle recrue soit bien accueillie et s’intègre rapidement dans l’équipe. Elle essaie d’être garante de cette cohésion et n’hésiterait pas à se séparer des personnes qui compromettraient cette cohésion, malgré l’apport de solutions.
Séverine confie : « C’est qu’il y a une bonne entente, une bonne cohésion entre l’équipe. Mais c’est a double tranchant. Si on recrute quelqu’un qui ne s’intègre pas au groupe, cela peut gangréner la bonne ambiance. On est obligé de s’en séparer, même si cette personne a des supers qualités humaines ou des compétences, parce que niveau caractère, niveau feeling, ça ne s’est pas bien passé.». Elle ajoute “On insiste quand même, on essaie avec d’autres équipes, parce que le caractère dépend des personnalités… Ça n’est pas arrivé trop de fois… Généralement ce sont des contrats qui ne vont pas au bout de la période d’essai”
Il est mis en avant ici que de bonnes conditions de travail impliquent la somme des individualités qui génère un collectif. Ces individualités et leurs interactions sont vectrices de bien-être ou de mal-être au travail.
La place des Femmes dans le BTP
Bien que le secteur de la plomberie et de la climatisation soit majoritairement masculin, TEKOA reste ouverte à la diversité et à l’inclusion. Séverine espère voir plus de femmes intégrer ces métiers à l’avenir : “c’est très rare. J’aimerais bien un jour tomber sur une femme.”
Le mieux-être au travail : un engagement constant
Des actions concrètes pour le mieux-être des salariés
TEKOA met en place diverses actions pour améliorer le bien-être de ses salariés. Des réunions sont régulièrement organisées pour favoriser l’échange et la communication, et des événements de cohésion sont planifiés.
Séverine Groslambert nous explique cela à travers un exemple d’organisation de journée spécifique : « On essaye de faire une réunion une fois par mois. En ce moment c’est plus une fois par trimestre. On regroupe tous les salariés ou au moins les chefs de chantier ici. On se fait un restaurant et une réunion. C’est champ libre. Cela permet à mes associés et moi de passer aussi des messages et des nouvelles infos. Eux, ils l’ont vraiment perçu comme ça, un moment d’échange.
Des actions adaptées pour une meilleure adhésion
Ce qui est intéressant dans le fonctionnement des gérants c’est qu’ils semblent être suffisamment à l’écoute et ont une capacité de remise en question de soi qui leur permettent d’entendre les besoins (car écouter et entendre sont deux aptitudes différentes) pour co-construire des actions.
Elle poursuit : « On organise également deux événements par an. Cette année, on est allés à Mafate. C’est eux qui ont demandé. Fin août, on a fait une sortie baleine. Dans ce cadre, on est allé au resto tous ensemble. Et là, on leur a demandé ce qu’ils voulaient parce que moi, j’imaginais peut-être un hôtel, quelque chose d’un peu plus cocooning, ils ont dit non. Certains n’étaient jamais allés à Mafate. On avait booké un gîte, la nouvelle. Et là, on y est allé avec les familles».
Cela peut paraître simple et logique, et pourtant, cela demande d’être à l’écoute et de remettre en question ses propres idées de départ. D’un point de vue extérieur, cette activité donne l’occasion de découvrir son île, se connecter à la nature et cela en famille, qui est une valeur réunionnaise forte. Ce sont généralement les actions les plus simples qui sont les plus bénéfiques.
Oser le changement pour un mieux être au travail
À la fin des interviews, j’aime demander à la personne interviewée ce qu’elle aimerait dire aux personnes qui ont perdu confiance au monde du travail. Severine Groslambert nous répond :
“’J’ai envie de leur dire de persévérer, de ne pas avoir peur de changer d’entreprise. Ils vont peut-être trouver l’entreprise qui leur convient, avec leurs valeurs. On a eu le cas, même plusieurs fois, des salariés qui venaient et qui disaient… “Moi, je veux bien travailler, mais je travaille six mois, j’arrête”. Et au final, il me dit: « Je me sens bien chez vous, vous ne voulez pas qu’on signe un CDI plutôt ? » ”
La minute “permaculture au travail”
Comme à mon habitude, à chaque fin d’interview, je propose de piocher une carte “permaculture au travail”. J’ai d’ailleurs dédié un article à cela. Si vous ne l’avez pas encore lu, vous pouvez le faire en cliquant ici (article à venir, abonnez-vous pour être tenu au courant).
C’est à ce moment-là que les deux autres responsables, Nicolas et Florian nous ont rejoint et nous avons échangé sur leur vision de l’entreprise. Ils ont une approche différente et des métiers différents qui se complètent. Ils semblent arriver à faire de ces différences une force pour gérer l’entreprise le plus humainement possible, en adaptant les approches en fonction des personnes avec qui ils interagissent.
Séverine Groslambert commente la carte (voir image ci-dessus): “ Les salariés qui sont investis, au final, ils se mettent leur propre système d’évaluation, je pense.
Par rapport peut-être à ce qu’on attend d’eux. Par exemple, nous on se démarque comme en faisant du travail de qualité, du haut de gamme. Ils se positionnent à ce niveau-là. Parfois, il y a quelques rappels à faire, mais au final, eux, ils savent déjà, ils s’auto-évaluent là-dessus.
Par exemple, pour être dans le concret. Dans un de nos chantiers, on a mis en œuvre du matériel qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser. Ce sont des mises en œuvre bien spécifiques, tout est dans le détail.
Un des chefs s’est planté et du coup, ça a créé des conséquences financières parce qu’il a fallu refaire. Il a eu une remontrance quand même, mais c’était inutile d’aller plus loin parce qu’en fait, il s’est lui-même évalué. Il a dit: “Je n’ai rien à dire. En fait, c’est moi, j’ai merdé. Il fallait que je lise la notice, je n’ai pas bien lu la notice”.
Et on sait qu’il s’est puni de lui-même. En fait, moi, je vais l’appeler et je vais lui dire que ça ne remet pas en question la confiance qu’on a en lui et l’évolution qu’il a eue depuis le début qu’il est chez nous.”
Conclusion
TEKOA est un exemple inspirant d’une entreprise qui se veut moderne en plaçant l’humain et ses besoins au centre de sa stratégie, tout autant que les besoins de l’entreprise. En mettant l’accent sur l’écoute, la collaboration, la formation continue, et en créant des conditions de travail flexibles et adaptées, TEKOA démontre qu’il est possible de concilier performance et mieux-être des salariés. Cette approche, fondée sur l’intelligence collective et le respect des individus, est non seulement bénéfique pour les salariés mais également pour la pérennité et le succès de l’entreprise. Pour les employeurs désireux de repenser leur gestion et de développer durablement leur entreprise, l’exemple de TEKOA offre de précieuses leçons et une source d’inspiration incontournable.
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