You are currently viewing La polyvalence : est-ce un bon critère de recrutement ?

La polyvalence est souvent un critère de recrutement lu ou entendu. Mais, est-ce un bon critère de recrutement ?

Un rapport de France Travail (anciennement Pôle emploi) révèle que la capacité d’adaptation et la polyvalence sont particulièrement demandées dans des secteurs comme l’industrie (jusqu’à 71 % des offres pour certaines catégories), le commerce de gros, et la construction. Nous pouvons bien imaginer que ces compétences permettent aux entreprises de s’ajuster rapidement à des changements ou des besoins fluctuants, ce qui en fait un atout précieux dans les critères d’embauche.

Ce que je trouve tout aussi surprenant qu’intéressant est que d’un côté la polyvalence et la capacité d’adaptation sont des qualités globalement recherchées …et d’un autre côté … le CV d’une personne ayant fait de multiples métiers et ayant de multiples expériences …peut faire peur : “Oulalalala elle, elle ne vas pas rester chez nous” ; “Ah, ça ne semble pas être personne stable” …

Bref … nous allons voir dans cet article ce qu’on entend par polyalence et nous allons essayer de questionner cette qualité pour voir si cela n’est qu’un atout pour l’entreprise.

Polyvalence au travail : une qualité essentielle, mais à quel prix ?

La polyvalence est un critère fréquemment recherché dans les offres d’emploi en France, et ce phénomène a tendance à s’accentuer au fil des années. Les entreprises, notamment dans les secteurs en constante évolution ou qui subissent des pressions économiques, privilégient des salariés capables d’assumer plusieurs fonctions. Ce besoin se retrouve particulièrement dans les PME (petites et moyennes entreprises), où les équipes sont souvent réduites, mais aussi dans des secteurs comme la tech, la logistique, et les services, où la réactivité et l’adaptabilité sont cruciales.

La polyvalence au travail : atout ou contrainte dans les recrutements ?
La polyvalence au travail : atout ou contrainte ?

Elle est valorisée par les employeurs, mais que se cache-t-il derrière cette demande croissante ? Quels avantages cette qualité offre-t-elle aux employeurs et aux salariés, et quels sont les risques associés à cette pratique ?

1. Les avantages de la polyvalence au travail pour l’employeur

La polyvalence permet aux employeurs d’avoir une flexibilité opérationnelle accrue. En effet, un salarié capable de remplir plusieurs rôles ou remplacer une personne, de s’adapter à diverses tâches permet de répondre rapidement à des besoins fluctuants. Dans un contexte économique incertain ou dans des entreprises de petite taille, cette flexibilité est un atout stratégique.

Avantage en termes de productivité et d’innovation

Des études en économie comportementale montrent que la polyvalence favorise la résilience organisationnelle. Par exemple, une étude menée par Battiston, Gamba et Santoro (2019) dans le journal Economics Letters indique que la capacité des salariés à assumer plusieurs rôles réduit les coûts liés à l’embauche et à la formation, et augmente l’efficacité globale. Elle peut aussi stimuler la créativité et l’innovation, car les salariés polyvalents sont exposés à une diversité de tâches, favorisant ainsi de nouvelles perspectives.

2. Les avantages pour le salarié

Sur le plan individuel, être polyvalent peut permettre au salarié d’acquérir de nouvelles compétences et d’élargir son éventail professionnel. Cela améliore leur employabilité, surtout dans un marché du travail en constante évolution où la spécialisation peut parfois devenir un piège.

Enrichissement personnel et carrière

Les recherches en psychologie du travail montrent que l’acquisition de nouvelles compétences et la diversification des tâches peuvent renforcer le sentiment de compétence et de satisfaction au travail. Selon une étude de Baard et al. (2004), publiée dans le Journal of Applied Psychology, l’autonomie et la possibilité d’élargir son rôle sont des facteurs clés de la motivation intrinsèque.

La polyvalence : développement de compétences ou surcharge de travail?
La polyvalence : développement de compétences ou surcharge de travail?

La polyvalence peut aussi réduire l’ennui et favoriser une meilleure gestion du stress grâce à la variété des activités. Je retrouve régulièrement des personnes qui m’affirment avoir changer de poste ou d’entreprise, car elles avaient besoins de renouveau, de nouveaux challenges, de changer. J’ai également validé ce constat via une enquête auprès de plus de 800 personnes en recherche d’emploi. Une majorité de personnes ont répondu avoir quitté leur travail par envie de développer leurs compétences. Un poste polyvalent peut prévenir de cette lassitude.

3. Les risques et les inconvénients de la polyvalence

Cependant, cette flexibilité a un prix. Pour l’employeur, cela peut parfois mener à une surcharge cognitive des salariés, où ces derniers doivent jongler avec trop de responsabilités à la fois. Pour le salarié, la polyvalence peut devenir une source de stress et d’épuisement, surtout si elle n’est pas encadrée correctement ou si elle est exigée en continu. Il arrive que polyvalence soit confondu avec une surcharge de travail.

Le syndrome de l’épuisement professionnel

Des études en psychologie du travail, comme celle de Maslach et Leiter (2016) sur le burnout, montrent que l’augmentation des responsabilités sans un soutien et/ou des moyens adéquats peut conduire à l’épuisement. En effet, les salariés polyvalents risquent de se sentir sous pression, car ils doivent non seulement maîtriser plusieurs domaines, mais aussi être performants dans chacun d’entre eux. Cette surcharge peut altérer la qualité de vie au travail, augmentant le risque de détresse psychologique. Cette injonction d’être performant partout pour être dictée par l’employeur ou par le salarié lui-même, en fonction de son type psychologique.

Perte de spécialisation

Sur un plan plus stratégique, la polyvalence peut aussi représenter un danger pour l’entreprise lorsqu’elle est mal utilisée. En encourageant trop de flexibilité, on peut diminuer la profondeur des compétences spécifiques. Comme le souligne l’économiste Gary Becker (1993) dans ses travaux sur le capital humain, une trop grande polyvalence peut réduire la spécialisation, et par conséquent la valeur ajoutée de certaines compétences hautement techniques. Dans ses écrits, Becker explique que les compétences spécifiques sont celles qui sont utiles à une entreprise particulière, tandis que les compétences générales peuvent être appliquées dans de nombreux contextes professionnels. Il met en avant que les investissements dans des compétences spécifiques peuvent présenter des risques pour le salarié, car ces compétences peuvent perdre de leur valeur s’il change d’emploi. Indirectement, cela pourrait être interprété comme un argument selon lequel la polyvalence excessive pourrait réduire la spécialisation, car l’acquisition de compétences très générales peut limiter la maîtrise de compétences techniques plus spécifiques et précieuses dans un domaine donné.

4. Les recommandations pour une gestion équilibrée de la polyvalence au travail

Pour tirer pleinement parti des avantages de la polyvalence, sans en subir les inconvénients, il est essentiel que l’employeur adopte une gestion prudente et équilibrée.

  • Former et soutenir les salariés : Mettre en place des programmes de formation continue afin que les salariés puissent maîtriser les différentes fonctions auxquelles ils sont exposés.
  • Revoir les attentes et objectifs : Fixer des objectifs réalistes pour les salariés polyvalents, en évitant une surcharge de travail. Cela demande d’être à l’écoute et de faire confiance aux salariés. En effet, cette personne est la mieux placé pour savoir ce qui est possible de faire en un temps donné.
  • Reconnaissance et rémunération : Reconnaître et récompenser les efforts des salariés qui assument plusieurs rôles dans l’entreprise. La rémunération est un moyen de récompenser. Mais pas que. Un certain nombre d’études le prouve, le salaire n’est pas le facteur motivationnel premier. Déjà parce que c’est une motivation extrinsèque et parce que le besoin de reconnaissance de la personne humaine, dans ses besoins profonds et les conditions de travail dans lesquelles la personne évolue priment. J’en parle notamment dans cet article : **Bien-Être au Travail : Dépasser les Ateliers de Développement Personnel.**

La polyvalence, un critère à utiliser avec modération

La polyvalence, bien que précieuse dans un monde du travail en mutation, doit être gérée avec précaution pour éviter qu’elle ne devienne un facteur de stress ou un frein à la spécialisation. Elle offre de nombreux avantages pour les employeurs et les salariés, à condition que les attentes soient clairement définies et que les ressources adéquates soient fournies.

C’est un peu comme tout dans la vie, il n’y a pas de recettes toutes faites, et il est question d’équilibre. L’être humain est complexe, c’est ce qui en fait sa beauté. Manager et gérer les organisations de travail est un métier à part entière, avec des compétences spécifiques. Ce n’est pas grave de ne pas les avoir, du moment que l’on identifie ce qui ne fonctionne pas et qu’on mette en place des actions pour les développer et s’améliorer. Il en va de la santé physique et mentale de vous, employeur, de vos salariés mais aussi de votre entreprise.

Sarah Amoros

Si vous souhaitez développer le sujet, contactez-moi => Formulaire de contact en bas de page, ou via linkedin.

Je vous invite également à suivre les articles qui vont suivre. Pour cela, abonnez-vous au blog.

En cliquant sur les liens, vous pouvez également vous abonner à mes pages : Facebook / Instagram

et à ma chaîne YouTube

Références :

  • Battiston, D., Gamba, S., & Santoro, E. (2019). Multi-tasking and productivity in modern firms. Economics Letters.
  • Baard, P. P., Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2004). Intrinsic need satisfaction: A motivational basis of performance and well-being in two work settings. Journal of Applied Social Psychology.
  • Maslach, C., & Leiter, M. P. (2016). Understanding the burnout experience: Recent research and its implications for psychiatry. World Psychiatry.
  • Becker, G. S. (1993). Human Capital: A Theoretical and Empirical Analysis with Special Reference to Education.
Sentez vous libre de commenter, et si vous avez aimé l'article de le partager :)

Laisser un commentaire